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mercredi, 31 juillet 2013 04:56

Jean-Michel Corillion

Sur les traces du Monde Premier

Avec une trentaine de films à son actif, Jean-Michel Corillion s'est forgé une solide réputation dans l'univers des films ethnographiques et zoo-ethnographiques. Sa modeste contribution pour tenter de faire évoluer le monde dans lequel nous vivons.
Le réalisateur revient sur le devant de la scène avec Chamans, les Maîtres du désordre, projeté au Festival des Globe-trotters le 28 septembre prochain.
Portrait d'un aventurier féru d'images, humble et généreux.


Jean-Michel Corillion n'est pas homme à « s'enfermer dans une bulle » : « Le monde est si vaste que ce serait une aberration [pour lui] de ne pas l'explorer ! »
Animé par la curiosité, cet « électron libre », passionné d'images, sillonne le globe depuis les années 90 à la découverte de contrées méconnues. La notion de « partage », au cœur de ses voyages, préside à sa carrière de réalisateur-documentaire. Son travail n'a pas pour vocation de véhiculer un message mais de susciter la réflexion : « j'aime réaliser des films qui interpellent. Même si vous tournez à l'autre bout du monde, il faut absolument que les spectateurs se sentent concernés. »
A travers Chamans, les Maîtres du désordre, sa dernière réalisation, cet objectif ultime est atteint. Ce documentaire a provoqué nombre de réactions et débats philosophiques entre musulmans au-delà de la religion : « le film a eu une résonnance particulière parce que le chamanisme touche à des croyances ancestrales que certains musulmans marocains ne reconnaissent plus aujourd'hui. Un véritable musulman ne peut pas croire au chamanisme qu'il associe au charlatanisme. Pourtant, tous les protagonistes que j'ai filmés sont de fervents musulmans. C'est ce paradoxe que je trouve intéressant ! »

> Une voie toute tracée

Originaire de Bar-le-Duc en Lorraine, l'homme est fascinant et son parcours atypique tout autant. Histoire de tromper l'ennui, Jean-Michel Corillion, alors en Terminale, s'initie à la musique par l'entremise de copains. Ensemble, ils fondent Épitaphe, un groupe New wave. Un tirage au sort décide de son rôle au sein de la bande dont il devient le chanteur et batteur. Ils ne connaissent pas grand-chose à la musique ni ne jouent d'un instrument, mais l'enthousiasme et l'assiduité les guident dans cette activité artistique. Contre toute attente, le succès est retentissant : un contrat chez Virgin avec, à la clef, une vingtaine de concerts par an. Il renonce alors à des études de droit, entamées après son bac en sciences économiques et sociales, pour vivre de la musique. Après quatre années de tournées, le groupe se sépare en 1985 suite à la disparition prématurée de son clavier. Cette carrière professionnelle scelle néanmoins son destin.

Jean-Michel Corillion se découvre une passion pour la caméra lors des tournages de clips. Dès l'année suivante, il intègre à l'âge de 21 ans la filière « Prise de vue » du Centre d'études et de recherche de l'image et du son (CERIS), basé à Chantilly dans l'Oise. Formé comme technicien supérieur en audiovisuel, il en ressort major de sa promotion en 1988. Il fait ses armes en travaillant sur des films institutionnels. Son expérience de skieur et de guide de haute montagne lui vaut alors d'être recruté comme cameraman par la société EAG pour collaborer à un pilote d'émission dans lequel il s'investit durant un an : « La fin des années 80 marque les prémices des films de l'extrême avec les caméras embarquées, utilisées dans le monde du sport notamment, pour suivre les prouesses des athlètes. » Un célèbre journaliste, d'Antenne 2 à l'époque, est à la tête du projet. Son ambition : concurrencer le magazine USHUAÏA de TF1. L'émission n'obtient pas l'aval du service des Sports de la chaîne, mais Jean-Michel Corillion est déterminé dès lors à « réaliser son rêve de gosse », combiner sa passion du voyage à son métier.

> Une vie nourrie de rencontres

La vie est un défi formidable à condition de se donner les moyens de ses ambitions. Quand on veut, on peut ! Jean-Michel Corillion s'est rallié à ce précepte. Il démarche dans son bureau, Pascal Anciaux, producteur d'Ushuaïa. Cet homme lui met le pied à l'étrier. Il intègre l'équipe de tournage en qualité de chef-opérateur puis plus tard, comme réalisateur. De cette collaboration naît une sincère amitié. Il prend son envol au moment où l'émission bascule dans un nouveau concept, Opération Okavango. A cette époque, un ami lui propose d'être responsable des images d'un titanesque projet de 170 millions d'euros : Océan voyageur, produit par Ellipse, la société de Philippe Gildas pour le compte de Canal +.

La chaîne se dote d'un fabuleux bateau de 70 mètres, avec opérateurs de prises de vue, sous-marin, et hélicoptère, pour explorer les océans tel Jean-Yves Cousteau, trente ans auparavant. Sans concept pertinent, le bateau prend l'eau : « on avait un bel outil mais on ne savait pas quoi en faire ! »
Pour Jean-Michel Corillion, l'aventure se poursuit. Sa rencontre avec Jérôme Julienne marque un tournant décisif dans sa vie, « les prémices de [sa] carrière de réalisateur-documentaires. » Ce dernier lui propose de travailler à l'élaboration et à la réalisation d'un 52 minutes sur le thème des « dauphins tueurs », un sujet qui le passionne d'emblée : l'histoire de ces mammifères marins enrôlés par les armées américaines et russes durant la Guerre Froide ; ce que l'on appelle « l'arme biologique », destinée à torpiller l'adversaire.
Ces « soldats des mers », nom éponyme de son film réalisé en 1997, étaient formés à gazer l'ennemi à l'aide d'une cartouche de CO² posée sur leur dos et capables des années plus tard de tuer au moyen d'un calibre 45. Ils comptaient aussi dans leurs rangs tous les pinnipèdes tels otaries et phoques, ainsi que les plus grands mammifères comme les bélugas et les orques. S'engage d'âpres investigations avec l'armée américaine dont les archives ont malheureusement brûlé en 1992, des universités et des laboratoires privés disséminés dans le monde entier : « Sur les 17 films relatant ces faits, on en a retrouvé 14. » De là, la société de production ZED lui confie la réalisation de plusieurs documentaires purement ethnographiques et zoo-ethnographiques.
Elle préside également à sa rencontre avec Benjamin Ternynck, ancien vendeur chez Télé-Images, aujourd'hui producteur et distributeur international de films haut de gamme. Ensemble, ils fondent en 2006, KWANZA, leur société de production et de distribution de documentaires : « J'ai retrouvé une liberté totale, cela n'a pas de prix ! »

> A la rencontre des tribus du Monde Premier

Cette nouvelle aventure lui permet de poursuivre un tour du monde, entamé à l'époque d'Ushuaïa, dans des endroits totalement reculés et de confirmer sa passion pour la zoo-ethnographie : « Ce rapport homme-animal m'a toujours fasciné. J'y ai trouvé un équilibre entre ma passion pour les minorités ethniques et les animaux que j'adore filmer. Il y a une vraie symbiose entre ces peuples et l'environnement qui l'entoure et plus particulièrement avec les animaux. Je m'en nourri à chaque voyage !» Ses innombrables réalisations le mènent à la « Source de notre Humanité » et gravent sur la pellicule ses rencontres avec les ethnies du Monde Premier : les Jawi dans le sud de la Thaïlande, « un premier choc ethnique », le peuple Sherpa dans les montagnes du Khumbu au Népal, le peuple Yami au sud de Taiwan, les Indiens Haïda à 50 kilomètres au sud de l'Alaska. Il partage également le quotidien de tribus tels les Toraja sur l'île de Sulawesi en Indonésie, les Bugis au sud de la même île, les Punan en pleine jungle de Bornéo, des Asmat de Papouasie-Nouvelle-Guinée ou encore des Matis d'Amazonie, « un des tournages les plus difficiles » souligne le réalisateur, tant le territoire de cette population était isolé du reste du monde.

Jean-Michel Corillion garde un souvenir ému de son tournage « Devenir femme au Zanskar », qu'il réalise en 2005 pour France 5. Tourné au Zanskar, dans les montagnes indiennes de l'Himalaya, ce documentaire ethnographique de 90 minutes est l'aboutissement de plusieurs années de travail. Bouclé au terme d'un périlleux périple de 120 km sur la mythique rivière gelée, le Tchadar, il relate l'histoire de deux jeunes filles, Palkit et Tenzin, qui s'apprêtent à entrer dans l'âge adulte. L'une va devenir nonne malgré l'avis de ses parents, l'autre va être enlevée pour épouser un homme qu'elle n'a pas choisi : « Je disposais d'une équipe de quatre personnes mais de moyens équivalents à ceux du cinéma. Un périple de neuf semaines à plus de 4000 mètres d'altitude et 580 kilos de matériel à transporter. C'était vraiment prodigieux ! » Jean-Michel Corillion reconnait bien volontiers que dans son métier le facteur chance est primordial tant le risque, calculé tant que faire se peut, est au cœur de son activité : « Le jour où la petite étoile qui vous guide disparait, tout devient plus compliqué. Un documentaire une fois achevé, c'est toujours un petit miracle ! »

Autre film significatif dans son parcours, La Confrérie du Cobra, qu'il réalise sur les Aïssawa au Maroc. Et pour cause, ce documentaire constitue l'un des films de prédilection de Bertrand Hell, co-commissaire de l'exposition sur le thème du chamanisme dont est issu Chamans, les Maître du désordre. Pour cette commande initiée par le musée du quai Branly, Jean-Michel Corillion fait le pari gagnant de retourner sur les traces des Aïssawa : « J'ai eu la chance incroyable de retrouver par hasard le chaman que j'avais rencontré dix ans auparavant, à mon sens le dernier grand chaman issu de cette confrérie religieuse. » A travers ce documentaire, il prend le parti d'aborder l'aspect thérapeutique, en se plaçant du côté des malades : « Mon objectif était de savoir pourquoi et de quelle manière ils s'orientent vers ce type de soins. »

Depuis cinq ans, le réalisateur s'attèle à mener à bien un projet ambitieux, liant une série documentaire et une œuvre cinématographique, dédiées aux peuples du Monde Premier : « Si ces ethnies que je filme m'intéressent autant c'est parce qu'elles ont encore beaucoup de choses à nous apprendre ! C'est ma manière d'ouvrir une fenêtre sur le monde et sur des valeurs que nous sommes en train de perdre.»

Par Krystel Le Naour
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