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mercredi, 28 août 2013 07:17

Laurent Hasse Spécial


La marche vers l'Autre

Laurent Hasse a parcouru à pied les 1500 km qui séparent la frontière franco-espagnole de la mer du Nord. Son objectif, partir à la rencontre de ces « Frances », des petits bouts d'humanité qui mis ensemble, constituent notre pays. Le Bonheur...Terre promise est un film tourné vers les autres, conforme à l'idée que « le Bonheur n'est réel que s'il est partagé. »
A découvrir à l'occasion du prochain festival des Globe-trotters le 27 septembre.



• Pour ceux qui ne vous connaissent pas encore, pouvez-vous vous présenter ?

Originaire de Lorraine, j'ai grandi dans la vallée de la Fensch, berceau et ancien fleuron de l'industrie sidérurgique française, dont on a beaucoup parlé lors de la fermeture des usines Arcelor Mittal de Florange et Gandrange. Mon parcours est en somme assez classique. Mon bac en poche, je ne savais pas trop quelle direction prendre. Ce qui a présidé à mon choix, ce n'est pas tant l'enseignement universitaire que l'endroit où j'allais le suivre. A l'époque, le TGV ne passait pas par la Lorraine ; Poitiers symbolisait le bout du monde pour moi ! J'y ai entrepris des études cinématographiques dans un établissement public. Il s'agissait d'un D.U.E.S à l'époque, une formation expérimentale qui n'existe plus aujourd'hui. J'y ai suivi un cursus audiovisuel : un DEUG très généraliste dans un premier temps puis deux années de spécialisation dans la réalisation de documentaire. Jusque-là, j'avais une curiosité pour l'univers du cinéma mais sans rien en connaître. C'est à cette occasion, je me suis passionné pour le genre documentaire. Ce fut vraiment une révélation ! De là, je suis monté à Paris parce que c'est dans la capitale que tout se passe. Comme tous les aspirants cinéastes, j'ai touché à tous les petits boulots possibles dans ce domaine. J'ai fait mes premiers pas en qualité de cameraman pour la télévision et des films institutionnels.

• Qu'est ce qui a présidé à votre engouement pour le voyage et votre désir de le partager ?

Je n'étais pas prédestiné à voyager. Ni sportif, ni baroudeur, j'étais plutôt urbain, sédentaire et casanier. A l'été 2004, une voiture m'a renversé alors que je circulais à vélo dans Paris. A compter de ce moment, c'est le black out ! Cet accident m'a plongé dans le coma durant plusieurs jours. La gravité du traumatisme crânien a nécessité une intervention chirurgicale délicate au sein du service de neurochirurgie de la Pitié Salpêtrière. A trente-quatre ans, mon pronostic vital était engagé. A mon réveil, j'avais perdu l'usage de mes jambes et les médecins ne savaient pas si je pourrais remarcher un jour. S'en est suivi une rééducation de plusieurs mois. L'envie de voyager découle de cette expérience. Depuis le jour, précisément, où j'ai revu bouger mes doigts de pieds. A mes yeux, cela relevait du miracle ! J'ai réalisé alors ô combien il était précieux de pouvoir marcher. Après l'accident, j'avais non seulement envie de reprendre mon métier de cinéaste mais aussi et surtout d' « avaler les kilomètres à pied ».
Le Bonheur...Terre promise me permettait de réunir ces deux aspirations. Jusque-là, j'avais traité dans mes films, des thèmes plus sombres, comme la mondialisation, le capitalisme, la vieillesse ou le handicap. Ce documentaire est à contre-pied des précédents ; il m'offrait l'opportunité d'aborder un sujet plus léger et dans le même temps, une question existentielle : la quête du bonheur. Sur le plan personnel, il répond à un besoin de tourner la page, de faire quelque chose de cet événement traumatique pour mieux le dépasser. Ce film est un voyage, mais c'est aussi une thérapie.

• Quelle est votre conception du voyage ? Quel type de voyageur êtes-vous ?

Pour moi, le voyage est de l'ordre du fantasme. Il symbolise le rêve, la découverte et la surprise. Avant de réaliser ce film, je crois que je n'étais pas taillé pour l'aventure. Les quelques expériences de voyage que j'ai pu vivre avant se résumaient à des séjours organisés, où tout est programmé. On est ni plus ni moins que des touristes, trimballés au pas de course d'un point A, à un point B. On fait quelques photos pour en conserver des traces. Cela n'a pas vraiment de sens. Rien à voir avec l'aventure et la découverte ! Ce sont des vacances, c'est très différent. A mes yeux, le voyage est aussi lié à une plongée dans le milieu dans lequel on évolue, au contact des autochtones.
Le Bonheur...Terre promise s'est précisément cela. Je pense qu'il y a plus d'exotisme à traverser le Cantal ou la Creuse lorsqu'on est comme moi parisien, même d'adoption, que de partir au Club Med à l'Île Maurice. L'ornithologue corrézien, le berger creusois ou le retraité du Cantal, sont aussi différents de ce que je suis que le bédouin.

• Ce projet de réalisation d'une traversée de la France à pied a-t-il été compliqué à réaliser?

Si j'avais du me cantonner à respecter les us et coutumes en matière de production audiovisuelle, cela aurait été effectivement très compliqué : le voyage ne serait pas encore entrepris et le film ne serait pas finalisé. C'est tout un processus fastidieux et j'en suis passé par là du reste ! Il faut commencer par faire vivre le documentaire sur le papier et monter un dossier.
De là, on va démarcher les sociétés de production et les chaînes de télévisions, avec lesquelles je travaille par ailleurs. Personne n'était intéressé par le projet pour une raison à la fois toute simple et terriblement inquiétante : « Le bonheur n'est pas un bon sujet. » Ils sont plus prompts à s'intéresser aux « maux » du monde qu'à la quête de bonheur des uns et des autres. Mon film n'était pas lié à un fait d'actualité ni à un fait divers, à une problématique sociétale ou à un exploit sportif, « c'est trop petit la France » ; ce n'était pas non plus un documentaire d'aventure parce que « la France n'est pas un pays assez exotique ».
Pour toutes ces raisons, les diffuseurs ne savaient pas dans quelle case le ranger. De surcroît, on voulait absolument que je réalise un « 26 » ou un « 52 » minutes or je ne pensais pas pouvoir faire tenir un voyage de trois mois dans un format aussi court. J'ai finalement trouvé un producteur qui croyait dans le projet mais qui n'a jamais réussi à réunir l'argent nécessaire. Au final, le film s'est tourné sans argent ou presque, à savoir sur mes fonds propres. C'est avant tout un voyage humain et personnel qui répondait à un besoin vital.

Ce projet a surtout nécessité beaucoup de temps. Il s'est écoulé deux ans, entre le tournage, réalisé à l'hiver 2008, et le montage du film. A mon retour, j'ai ressenti le besoin de décrypter cette expérience de voyage, les souvenirs de rencontre accumulés tout du long, et définir ce qu'elle avait provoqué en moi. Il me fallait laisser reposer la matière pour mieux pouvoir la redécouvrir d'un œil neuf.

• Comment s'est déroulé le voyage ?

Ce voyage n'avait de sens pour moi que si je l'entreprenais seul. Le temps du tournage, j'ai du couper les ponts avec tout le monde, ma compagne, ma famille et mon entourage de travail. J'étais à la fois le moyen de transport, la tête pensante, le cameraman, le preneur de son, le réalisateur et le régisseur de mon film. Je suis parti avec le strict minimum : un sac à dos, une paire de chaussures de marche, la caméra et un micro. Le voyage, c'est aussi se dépouiller du superflu pour aller à l'essentiel.
Je sortais ma caméra soit parce que la beauté du paysage m'y invitait, soit parce que les personnes, qui m'hébergeaient le soir, acceptaient de l'idée de se faire filmer. Je n'ai jamais fait de rencontre, caméra au point. C'est un outil formidable mais c'est aussi un engin très agressif. Je ne l'utilisais qu'à la condition qu'elle soit acceptée. Contrairement au journaliste cameraman, le documentariste, n'est pas un « chasseur » mais un « pêcheur ».
Quelque fois, il peut passer des heures sans que ça morde ! Il ne faut pas forcer les choses. Les réactions sont différentes à chaque fois. J'ai été confronté à tous les cas de figure : curiosité, sympathie, charité chrétienne, hostilité, voire une certaine méchanceté par moment. Globalement, j'ai été très agréablement surpris par l'hospitalité. Dès qu'on est loin des villes, et en particulier l'hiver, c'est assez facile. Pour les gens, issus des villages ou des hameaux, que j'ai croisés durant mon périple, il y a quelque chose de l'ordre du devoir à ne pas vous laisser dormir dehors. Une forme d'entraide s'est créé et amplifiée tout au long du voyage. L'absence de solidarité en France, j'ai pu la constater en milieu urbain. Lorsque je ne trouvais pas d'hébergement chez le particulier, c'était à chaque fois en ville : on me répondait « appelle le 115 ! » J'ai alors du me rabattre vers des centres d'accueils d'urgence, des foyers de jeunes travailleurs, des gîtes communaux, ou dormir à l'hôtel.

• Comment avez-vous défini votre trajet ?

Mon objectif était de parcourir le pays dans lequel je suis né et dans lequel j'ai failli mourir et me laisser guider par les rencontres. Pour définir mon itinéraire, j'ai tracé une ligne droite sur une carte de France. Ce tracé existait déjà ; c'était le « Méridien de Paris », rebaptisé « Méridienne verte » à l'occasion du bicentenaire. Pendant la Révolution Française, Jean-Baptiste Delambre et Pierre Méchain, deux astronomes de renom, sont partis de Paris dans deux directions opposées avec pour mission de mesurer la taille de la Terre. De cette expédition qui a duré sept ans découle l'unité de mesure universelle qu'est le mètre. Pour autant, je n'intègre pas cette donne dans mon film. Le méridien n'est autre que cette ligne droite, direction plein nord, que j'ai décidé de suivre durant mon voyage. Je ne voulais pas être influencé par l'attrait touristique de telle ou telle région. Je m'imposais de coller au plus près de cette ligne, symbole de simplicité.

• Pourquoi avoir opté pour une traversée de la France ?

Je réalise des documentaires avant tout pour me confronter à l'Autre. La matière première de mon film, c'est l'humain. J'ai l'impression de devoir m'intéresser d'abord à mon voisin avant d'explorer d'autres cultures. Aujourd'hui, on parcourt Paris-Marseille en trois heures en TGV mais dans l'intervalle, qu'est-ce l'on sait des gens qui peuplent la France ? Pratiquement rien ! J'avais envie de commencer au ras des pâquerettes, balayer devant ma porte en somme. Il y a du reste une certaine constance dans ma courte filmographie. Mon tout premier film s'intitulait « Propos de voisins ». Pour le réaliser, je n'ai pas eu besoin de traverser le pays dans lequel je vis mais simplement mon pallier !
Le Bonheur...Terre promise participe de cette même idée. Par ailleurs, traverser la France à pied est idéal. Quatre kilomètres à l'heure, c'est la bonne vitesse pour apprécier une rencontre et les paysages !

• Outre les rencontres qu'il a favorisées, que vous a apporté votre voyage ? vous a-t-il permis d'accéder au bonheur ?

J'ai failli mourir, alors j'ai envie de partir à l'inconnu, de vivre des choses différentes et me confronter à des visages nouveaux. Je caricature mais en somme, je n'avais pas frôlé la mort pour vivre, par la suite, une vie terne et sans saveur. Ce voyage m'a permis de rompre avec le quotidien, avec ce qu'on appelle communément la routine : métro, boulot, dodo ! Il m'a aussi réconcilié avec moi-même et m'a ouvert l'esprit. Quand à la question « qu'est-ce que le bonheur ? », je n'ai toujours pas la réponse. Je sais seulement que cette quête du bonheur, sous-jacente dans mon film, est la « carotte » qui nous fait tous avancer. En revanche, j'ai trouvé des réponses quant à ce qui m'anime et me motive dans la vie. J'envisageais ce documentaire comme une thérapie, et bien, j'estime qu'elle est réussie. Cela m'a permis de voir plus clairement où sont mes priorités. Le simple fait de pouvoir accompagner le film, depuis un an et demi à travers le globe, me nourrit. Ce projet n'est pas rémunérateur mais ce qu'il m'apporte est tellement plus important. De même que le film ne s'inscrivait pas dans l'air du temps, mon voyage ne l'était pas davantage. Et néanmoins, il me fait tant de bien ! J'ai le sentiment de vivre un rêve éveillé !

• A votre sortie du coma, vous évoquiez « une intense lumière irradiante et agressive après un tunnel d'obscurité », une vision pour le moins mystique. Quel est votre rapport à la religion ?

Ma grand-mère disait de moi que j'étais un « affreux mécréant ». Le terme agnostique serait plus juste. Je préfère croire en l'Homme plutôt qu'en un Dieu quel qu'il soit. Ceci dit, j'ai pu avoir avant le tournage du film et même avant mon accident, des à-priori envers les Hommes d'église et les religions en règle générale que je n'ai plus aujourd'hui. Même s'il ne m'a pas complètement réconcilié avec la religion, le voyage m'a aussi lavé de certaines idées reçus dans ce domaine. C'est la méconnaissance qui alimente ces à-priori. J'ai notamment été hébergé par des Frères à l'Abbaye Sainte-Foy à Conques, l'un des hauts-lieux sur le chemin de Compostelle. Je leur ai expliqué que je ne marchais pas sur les traces d'un Dieu mais que ce qui présidait dans ma démarche, c'est plutôt d'essayer de me trouver. Leur intelligence et leur ouverture d'esprit à mon égard, m'ont fait prendre conscience que celle-ci était malgré tout très proche de celle d'un pèlerin. Elle était de l'ordre de la quête, et en cela nous avions des points communs. Ce n'est pas parce que l'on ne partage pas les mêmes croyances que l'on n'a rien à s'apprendre mutuellement. L'expérience du voyage et de la rencontre me l'a prouvé. C'est pour moi une des grandes leçons humaines du film !

• Quel est votre prochain projet de réalisation ?

Avec ce film, j'ai pris goût à la liberté. Je n'ai plus envie de me laisser piéger par les contraintes de la production audiovisuelle, avec un cahier des charges et des deadlines. C'est encore flou mais après avoir questionné le bonheur, j'aimerai m'attaquer à un concept encore plus abstrait, autour de la notion de progrès. Lorsqu'on recherche la définition du mot « progrès », on trouve que c'est une amélioration pour le bien commun, pour l'Humanité. La question que je souhaiterai soulever c'est : « Est-ce que tout progrès induit une amélioration ou est-ce simplement une évolution, ce qui peut sous-entendre, une dégradation ? Est-ce qu'il libère l'Homme ou est-ce qu'au contraire, il l'empiège ?"

Propos recueillis par Krystel Le Naour
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