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vendredi, 06 décembre 2013 11:39

Mon eden (Laos)


De l’autre côté du monde, un paradis où la douceur de vivre vous emporte entre rêve et réalité

Il existe au nord du Laos une région couverte de jungle et peu fréquentée car difficilement accessible. Du moins il y a quelques années, lorsque je l’ai découverte. Découverte, car, quand on débarque dans un endroit comme celui-ci, on se prendrait presque pour un pionnier, un aventurier des siècles passés… Nous sommes arrivés en pirogue et avons accosté sur les rives du village. Les quelques habitations se fondaient parfaitement dans leur environnement : des cases en bambou sur pilotis, un temple bouddhiste... et tout autour l’eau, l’air, la terre, la nature brute.

Le paradis ? Après un long trajet sur la rivière, les fesses endolories, les yeux aveuglés de soleil, le coeur bercé par les flots, poser le pied sur la terre ferme dans cet endroit du bout du monde, avait quelque chose d’irréel. Et pourtant, paradoxalement, je ne me suis jamais sentie aussi présente, “ici et maintenant”.

Un sentiment trouble d’être “arrivée”, comme si tous mes voyages n’avaient existé que pour m’amener là. Nous avons marché le long de la “rue principale” faite de terre battue, et nous avons trouvé une cabane où dormir : une échelle de bambou, un matelas, une moustiquaire, et au-dehors un glacis avec un réservoir d’eau et un arrosoir en guise de douche.

Et bien sûr des hamacs d’où nous pouvions voir les gosses jouer dans la rivière au milieu des buffles.

Et puis… finalement nous sommes allés nous baigner avec eux !

Et puis nous avons goûté des mets improbables puisque nous ne pouvions communiquer avec nos hôtes que par gestes.

Et puis nous sommes allés marcher dans les rizières aux alentours, et visiter les grottes, le coeur frais des montagnes.

Le mot doux... Et puis nous avons pénétré comme des voleurs dans la salle d’une l’école ouverte à tous les vents. Je me suis assise sur un banc d’écolier, j’ai ressenti l’ambiance de la classe, entendu les rires, vu l’application, la langue tirée… et j’ai trouvé sous mon banc un cadeau : un mot doux d’enfant amoureux, un mot avec un alphabet que je ne comprenais pas mais avec des coeurs aussi, langage universel…

Et puis nous avons eu la visite d’une petite fille aux grands yeux noirs, qui se balançait gracieusement dans notre hamac, et qui faisait des dessins et des guirlandes pour décorer notre cabane, et qui faisait aussi des bulles avec un morceau de paille enroulé, et qui restait là avec nous, et qui riait, qui riait…

Et puis cette gamine est venue accompagnée d’un bébé qu’elle m’a mis dans les bras pour jouer, et que j’ai cajolé. Et la gamine aux grands yeux noirs est repartie en sautillant, légère, et me laissant le bébé dans les bras, jusqu’à ce qu’une dame vienne le récupérer le plus naturellement du monde avec un grand sourire et un salut les mains jointes !

Et puis il y avait le calme, le silence, les sourires bienveillants, les gazouillis des oiseaux, les rires des enfants, et le balancement des corps dans les hamacs, quand la chaleur est si lourde et moite qu’elle vous enveloppe et vous paralyse, et la fraîcheur du soir dans les montagnes, quand les corps enfin se réveillent et revivent, et les discussions entendues au vol, dans cette langue inconnue mais devenue familière au fil des semaines et dans cette position accroupie toujours aussi inconfortable pour nos pauvres articulations occidentales !

Et puis une évidence : notre modèle de vie n’est peut-être pas le meilleur. En tous cas il n’est pas le seul : il y d’autres vérités, d’autres façons d’exister, d’autres valeurs, d’autres manières d’être heureux.

Et puis, et puis…

Il y a ce bout du monde, tellement loin, tellement différent, tellement inimaginable… et où l’on se sent pourtant chez soi, à sa place.

Une force ou plutôt une douceur nous empêche de quitter cet endroit où nous ne comptions que passer.

Nous pourrions tout aussi bien poser notre sac et rester là. Mais nous ne le faisons pas.

Alors finalement nous repartons, et de la pirogue qui m’enlève, mon regard embrasse ce bout de monde si spécial pour ne jamais l’oublier, pour le garder dans mon coeur pour toujours, comme un autre “chez moi”.

Parfois aujourd’hui, je me demande si je n’ai pas rêvé. Mais non, puisque j’ai au creux de la main ce bout de papier chiffonné, ce mot doux d’un enfant amoureux à l’autre bout du monde…

< Texte et photos Sylvie Dupont (26)

http://ailleurs-land.net/

_“Bamako Terminus, histoire d’un tour du monde raté”

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