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mercredi, 05 février 2014 09:50

L'Ouganda, l'inconnue des grands lacs

L'Ouganda, l'inconnue des grands lacs Fotolia
L'Afrique de l'Est s'est fait malheureusement récemment connaître par ses guerres civiles (Somalie, Rwanda, Burundi, Kénya) ou parfois ses attentats, comme à Nairobi fin 2013 dans un centre commercial. La plupart des voyageurs préfèrent se cantonner aux parcs animaliers ou aux plages du Kénya ou de Tanzanie ou grimper le Kilimandjaro. L'Ouganda semble l'oublié de cette région des Grands Lacs alors qu'il a tant à offrir, tant en parcs nationaux avec une superbe faune, en montagnes, en volcans et en lacs sans omettre sa végétation luxuriante et sa population très accueillante. Seule la mer est absente du tableau. En outre, la période des dictatures des années Amin Dada et Obote (1970 à 1985) est finie depuis près de 30 ans.

Départ début décembre à la fin de la saison sèche et avant la haute saison touristique dans ce pays n'accueillant que 70000 touristes étrangers par an.

Raid sur Entebbe

Mon raid sur Entebbe est moins glorieux que celui de l'armée israélienne en 1976 pour libérer ses otages : il se limite à occuper un coin du salon d'attente pour y passer la nuit et à changer mes dollars. Non loin, les employés de l'aéroport, en attente du prochain avion, vibrent aux péripéties du championnat de football anglais.

Au lieu de me rendre à la capitale Kampala, je reste tranquillement à humer l'ambiance du pays dans cette petite ville aérée, au bord du Lac Victoria. Les Anglais ont colonisé la région du temps de cette reine, à la fin du 19ème siècle.

Déambuler dans le jardin botanique, peu à peu grignoté par les quartiers pauvres voisins, dans le refuge pour reptiles en danger, mais surtout dans le "centre d'éducation de la vie sauvage" me fait prendre conscience du souci des Ougandais pour leur nature, bien mise à mal lors des années de dictature. A côté des classiques lions, girafes et rhinocéros enfermés, les singes et les élégantes grues couronnées ont repéré la tranquillité des lieux et y ont élu domicile.

Au bord du lac, des pêcheurs à pied ramènent difficilement un filet. Non loin de là, le gardien de l'église en béton me gratifie d'un salut militaire. Au marché, dans la section des restaurants populaires, une femme se fait pédicurer par un jeune homme. Je commande un "Rollex", venant de "Rolled eggs" chapati aux oeufs, ayant ainsi le sentiment d'avoir presque réussi ma vie selon les critères du célèbre publicitaire français Ségala "On n'a pas réussi sa vie si on n'a pas une Rolex à 50 ans".


Le Lac Victoria

Plus grand d'Afrique (100 fois la surface du Léman), le lac Victoria est partagé entre la Tanzanie, le Kénya et l'Ouganda. A 3 heures de bateau s'étend l'archipel des îles Ssesse. A part les bateaux-taxis coulant parfois lors de soudaines tempêtes sur le lac, il reste le ferry moderne mais pas de trace de gilets de sauvetage ! Avant d'embarquer, les passagers se voient fouiller leurs sacs car les cigarettes sont interdites dans l'archipel. Les 100 sièges sont vite occupés et tous les ponts et passerelles sont vite envahis d'habitués pendus à leurs téléphones portables ou autres Ipod/pad/truc.... on se croirait dans le métro aux heures de pointe.

Mon voisin, Sam, se présente comme "docteur des yeux", il se rend avec sa fille et 10 collègues sur l'île principale pour donner des consultations gratuites à la chaîne aux nécessiteux. Il me raconte son enfance pendant laquelle son père a malencontreusement fait tomber un arbre sur lui. Pendant quelques minutes, les voisins ont voulu le lyncher mais Sam est sorti miraculeusement de l'arbre. Certains malades lui demanderont de l'argent après la consultation.

Il semble nostalgique de l'époque d'Amin Dada quand, selon lui, la corruption était inexistante et les salaires payés à temps. Outre les 300000 morts, ce tyran sanguinaire a tout de même expulsé la communauté indienne qui dominait le commerce. Résultat, l'économie a été ruinée et a eu beaucoup de mal à remonter la pente. Le président actuel, Museveni, au pouvoir depuis 1986, a apporté la stabilité et la majorité de la population préfère le voir rester plutôt que de prendre le risque d'émeutes voire de guerre civile éclatant parfois en Afrique lors des élections.

Sam n'a pas froid aux yeux, il me demande des conseils voire de l'aide pour développer une activité commerciale de vente de verres de lunettes entre l'Europe et l'Ouganda.

Pendant ce temps, les passagers tuent le temps en commentant la nouvelle du jour, la mort de Mandela, buvant de la bière à gogo, riant à gorge déployée, remplissant leur sudoku, dégustant du poisson frit et des frites ou parcourant le journal. On assiste également à un quasi-défilé de mode de boubous et de robes africains.

Les îles longées sur le parcours ne sont peuplées que de quelques pêcheurs. L'île principale de Buggala nous accueille dans la superbe baie de Lutoboka, son village de baraques contrastant avec les hôtels de bungalows les pieds dans l'eau. Les bords du lac sont envahis d'algues. Celà ne gène pas les les lavandières qui tapissent les rives de tissus multicolores. Malheureusement, baignade interdite à cause de la billiarzose.

L'île fait les gros titres des journaux. Quelques jours avant mon arrivée, un hôtel pour routards tenu par des Allemands a été détruit par la police car le terrain aurait été occupé illégalement depuis 20 ans, le propriétaire est en prison car il ne peut ou ne veut pas payer la caution. Les journaux annoncent également l'arrestation d'un pédophile européen dont le lit était "pris d'assaut" par les jeunes filles pensionnaires de son refuge pour enfants...

Mes voisins de bungalow sont des cormorans, des ibis, des faucons ou des hérons sans compter nombre d'échassiers inconnus. Ils élisent domicile sur des pontons abandonnés et semblent habitués aux promeneurs. Le haut de l'île offre une superbe vue sur la baie et l'archipel mais le village administratif de Kalangala est tristounet : rues boueuses, habitations en béton, boutiques pauvrettes. Seules la mosquée et l'église adventiste du 7ème jour sortent du lot : en ce samedi, toute l'assemblée chrétienne sort sur son 31 et les chants envahissent la rue, à peine troublés par l'appel peu envahissant du muezzin. De nombreuses églises aux noms variés éclosent dans le pays, comme par exemple "Living god church"...




Mes quelques jours de "vacances" sont terminées, départ vers la capitale Kampala où Sam me dépose en voiture, nous sommes 4 à l'arrière et même les remarques de la police militaire sur cet "excess" ne me feront pas débarquer. En ce dimanche, la ville aux multiples collines de terre rouge est une ruche sans charme mais bien aérée. Deux mosquées énormes se font face, la saoudienne et l'indienne mais la population chrétienne est prépondérante à 85%. Les marchés se tiennent à même les trottoirs. La population a été multipliée par 20 depuis l'indépendance en 1960 et celle du pays est passé de 5 à 35 millions d'habitants. L'âge moyen est 15 ans.

Je découvre à l'occasion le coté pratique du taxi local à deux roues, des motos de 125 cm3 appelées "boda-boda" car elles étaient à l'origine consacrées au passage des frontières ("border to border"). Elles sont généralement conduites par d'intrépides jeunes gens toujours pressés. Le prix se négocie toujours dans la bonne humeur. Le fort taux de mortalité de cette activité a conduit le gouvernement à suggérer le port de casques pour le conducteur mais pas pour le ou les passagers car on peut parfois être 7 sur l'engin (version "body-body"), les femmes montant souvent en amazone avec leurs petits dans le dos. On les voit parfois transporter des cercueils, vides, ou des meubles comme des coiffeuses. Pour ma part, je préfère la version luxe, avec le siège arrière et la conversation du pilote pour moi tout seul, mon sac à dos étant posé sur le volant et les cadrans. Pour sa sécurité, il est conseillé de demander de temps à autre d'aller lentement... Je deviendrai ainsi un frequent-rider à la fin du séjour, au point de parcourir jusqu'à 30 km pour éviter d'attendre un minibus.

Le Lac Albert

Courage fuyons : je préfère sauter dans le bus, annoncé comme partant pour Masindi, porte d'entrée du Parc national des Murchinson Falls. Deux heures plus tard, après maintes visites de vendeurs de journaux (en gros titre, la mort de Mandela bien sûr), de chaussures, de semelles, de montres et de victuailles et installations de passagers, le bus, quasiment plein, se fraye un passage dans la gare routière bien encombrée. En sortant, il nous faut vaincre le bouchon de minibus collectifs et de boda-boda. Il fait nuit à l'arrivée et deux compagnons de voyage décident de m'escorter jusqu'à un hôtel. En effet, pas d'éclairage public. Je découvre ainsi que tout l'Ouest du pays souffre, sans jeu de mot, de "black-out", de pannes d'électricité récurrentes.

Au lieu de me joindre à un quelconque groupe de touristes, me voici dans le taxi de Moïse qui me fait découvrir, non seulement le fameux parc national des Murchinson Falls mais ses environs. Moïse m'explique que les études au collège coûtent 200 euros par an et par enfant, je ne marchande pas trop son offre très raisonnable.

Sur la route de campagne très verdoyante vers le Lac Albert (le mari allemand de la reine Victoria), il fait un détour vers la plantation de cannes à sucre de Kyniara appartenant à un groupe indien de Maurice et au gouvernement. Le paternalisme est ici à l'oeuvre mais sans doute que les 500 ouvriers et leurs familles ne s'en plaignent pas : logements collectifs coquets, hôpital, vaste école, bicyclettes fournies. Nous rentrons sans montrer patte blanche dans l'enceinte de l'usine, dominée par une très grande cheminée, nous faisant tout petits par rapport aux énormes tracteurs et leurs remorques apportant par dizaines de tonnes les cannes coupées dans les immenses champs environnants. Il y a deux récoltes annuelles. Étonnamment, les ouvriers me laissent approcher des pressoirs et des cristalliseurs et m'indiquent le poste de commandement où je suis très bien accueilli. Dommage, une visite plus approfondie prendrait trop de temps.

Non loin de là, surprise : une église polonaise, construite en béton pendant la deuxième guerre mondiale, échappe encore à la canne à sucre. Au vu des tombes, elle a été vite abandonnée mais pas par tout le monde. Les étudiants de l'école des forêts viennent y reviser leurs cours et ... se conter fleurette.

Nous descendons le fameux escarpement (100 m en pente douce), symbole géologique du Rift se préparant à séparer l'Afrique en deux jusqu'à la Mer Rouge mais il faudra encore quelques dizaines de millions d'années. Au loin, le Lac Albert et de l'autre côté, les montagnes du Nord-Kivu, région de la République soi-disant Démocratique du Congo, à feu et à sang depuis 20 ans. Une petite balade à pied me permet de rencontrer les habitants qui remontent difficilement à vélo, les pick-up qui descendent des jerrycans chargés d'alcool de canne à sucre bon marché, des babouins bien paisibles et un policier et une policière tout de blanc vêtus attendant l'excès de vitesse au carrefour peu emprunté....

Encore quelques km et nous voici arrivés au village de Butiaba où s'entassent 5000 à 6000 personnes vivant essentiellement de la pêche au bord du lac, depuis l'arrêt du commerce trans-frontalier. Les fortes vagues sapent les bases du village, un peu comme nos tempêtes atlantiques. Les jeunes gens et les jeunes filles, certains complètement nus, se baignent et se lavent dans le lac, dans des endroits séparés tout de même. Sur les plages sont tirées les barques de pêche sur lesquelles les immenses marabouts, bien peureux, se perchent, en quête de restes de poisson. Tout près, des troupeaux de buffles aux cornes de un mètre de long, paissent paisiblement.

Charité et Myenga, même pas 20 ans, m'abordent et la conversation passe vite au français, ils font partie des nombreux Congolais réfugiés en Ouganda. Je leur apprends la mort de Mandela. Ils sont pêcheurs et risquent leur vie pour 5 euros par jour car beaucoup de naufrages ont lieu. Ils aimeraient tout de même retourner dans leur pays pour étudier. Ils m'expliquent que les barques sont remplies d'eau pour être protégées des fortes pluies. Une grande partie du poisson est séchée, sur les toits ou par terre, pour être vendue sur les marchés des villes ou consommée sur place, les plus petits étant réservée à la volaille. Les filets très fins jonchent le sol des ruelles. Mon charme auprès des jeunes filles opère, mes dents métalliques étant signe de richesse mais elle ont peur quand j'approche... Après un repas de poisson bien frais accompagné de farines de bananes et de riz, voici l'heure du départ : mes deux amis pensent que "Dieu est avec moi", au contraire de nombreux voyageurs blancs de passage (les fameux "muzungu", c'est ainsi qu'on m'appellera souvent) qui n'osent pas ou ne veulent pas aborder la population locale.

Le lendemain, nous voici dans le parc national de Murchinson Falls. Ce parc a été créé à la fin du 19ème siècle suite au décès de 250000 personnes causés par la mouche tsé-tsé, le gouvernement anglais ayant alors décidé d'évacuer cette zone ainsi que d'autres zones infestées dans le pays. Le taxi passe partout car nous sommes encore en saison sèche. Malheureusement, c'est également le cas des camions des compagnies pétrolières qui commencent à sérieusement s'installer après la découverte de gisements prometteurs, tant pis pour le statut de parc national et de réserve de biosphère... Le Nil, sorti du Lac Victoria et prêt à se jeter dans le Lac Albert, coupe le parc national en deux et ne fait ici que 300 à 400 m de large.

En cette saison, les animaux ne s'en écartent pas trop pour venir se nourrir et s'abreuver, une chance pour les visiteurs, beaucoup plus rares que dans les parcs kényans ou tanzaniens. Un défilé de girafes, de babouins, de perdrix, de phacochères et d'antilopes à longues cornes nous accueille le long des routes. De mon bateau "African Queen" qui remonte vers les chutes du Nil, on peut observer des crocodiles, des éléphants, des centaines d'hippopotames et de buffles et leurs petits. Des hirondelles ont fait leurs nids dans les falaises de tuf. Au dessus de ces scènes évoluent des aigles africains, des martin-pêcheurs noirs et blancs ne cessant de plonger, des "mangeurs d'abeilles" multicolores et de nombreux échassiers, parfois perchés sur le dos des hippos ou des buffles.

On peut débarquer du bateau pour remonter sur le fleuve à pied. Les rives du plus long fleuve d'Afrique (ici il ne fait que 300 m de largeur) sont envahies d'ajoncs jusqu'aux spectaculaires chutes, non par leur hauteur (45 m) mais par leur largeur et leur volume. Le goulet de 6 m de large est le point le plus impressionnant. Les végétaux et les animaux brassés par cet énorme lave-vaisselle engendrent une mousse brûnatre en aval.

A condition de faire abstraction des omniprésentes enseignes de téléphones mobiles (on envoie de l'argent par internet), la ville de Masindi permet une remontée dans le temps colonial : ont logé dans le Masindi Hotel Hémingway après ses deux accidents d'avion en deux jours dans la région et le couple mythique Hepburn / Bogart pendant le tournage du film African Queen, la cour de justice fonctionne encore à l'anglaise avec perruques et les prisonniers sont gardés dans une prison au fond du jardin.




En Ouganda, il est préférable de privilégier les taxis collectifs ("matatu") pour les trajets secondaires mais il ne faut pas être exigeant sur la sécurité, la vitesse ou le confort. La règle est de remplir le plus souvent possible les véhicules en multipliant les arrêts, quel que soit le volume de bagages, rangés entre les jambes ou sur le toit. Mesurer plus de 1,70 m est un gage d'inconfort. Le trajet Masindi - Fort Portal sur 150 km est épique. Le premier matatu, minibus qui met 4 h à quitter la ville après avoir fait le plein (de 25 passagers serrés comme des sardines) se fait arrêter à la sortie de la ville pour "excess" de passagers. Le chauffeur ne se démonte pas face aux policiers, frisant l'outrage et ne faisant débarquer que deux d'entre eux. Il les récupère quelques km plus loin, allant jusqu'à rembourser à un chauffeur de boda-boda (les fameuses moto-taxis) le transfert sur un km. En cours de route, le reste de mon billet est vendu à un autre chauffeur et je suis transféré, bien sûr en boda-boda, à la périphérie de la ville à bord d'un autre matatu. Après quelques faux départs, nous sommes à nouveau sur la piste mais le véhicule épuisé tombe en panne plusieurs fois. Nous sommes quelques passagers à fuir et monter dans un autre matatu qui nous mènera à bon port, après 8 heures de voyage.

Vue du ciel, la région de Fort Portal est boutonneuse de ses lacs de cratère. Il y a 8000 ans, à peu près à la même époque que la naissance de la chaîne des Puys d'Auvergne, de nombreuses éruptions volcaniques ont causé des cratères de 100 m à un km de diamètre qui se sont peu à peu remplis d'eau. La végétation en a pris possession et les bords sont devenus des hâvres de paix pour la faune locale. Certains malins ont construit de superbes lodges en bois tout au bord des cratères, tombant parfois en falaises dans les eaux du lac. Les prix ont aussi subi des explosions. J'ai l'occasion d'assister aux travaux des champs très fertiles grimpant à l'assaut des bords extérieurs des cratères ainsi qu'aux jeux des enfants. Des prisonniers tout proches, habillés en jaune vif, sont également de sortie. Des pistes et des chemins permettent d'accéder au bords des cratères mais il est souvent nécessaire de se faire guider, généralement par les gamins de villages proches. Au retour des chutes Mahona, une pluie diluvienne m'oblige à m'abriter dans les cases traditionnelles en terre cuite très pauvres où je suis très bien accueilli.

La chaîne du Ruwenzori, dépassant 5000 m, barre l'horizon. Une route, récemment asphaltée par les Chinois, permet d'en faire le tour et d'atteindre la ville de Bundibugyo, à 25 km du Congo. Il n'y a pas grand chose à faire sinon déambuler dans les ruelles sales du centre entre les échoppes de fruits et légumes ou les boutiques de téléphones portables et de cartes SIM, voire sur les trottoirs parfois envahis de fèves de cacao en cours de séchage.

Coup de chance : en recherche d'une douceur à l'unique boulangerie, je rencontre Irène, la secrétaire du directeur de l'unique usine de traitement du cacao du pays. Quelques mots à son patron et nous voici

à arpenter l'usine de mise en sacs. Une fois sorties de leurs cabosses, les fèves sont collectées chez 10000 producteurs locaux et mises à sécher à l'air libre sur deux hectares de séchoirs dans l'usine. Au moindre risque de pluie et tous les soirs, ces séchoirs sont recouverts de bâches. Les manutentionnaires, payés 50 euros mensuels, sont logés avec leurs familles dans de petits pavillons. Au lieu d'utiliser des chariots, ils préfèrent porter un sac de fèves (62 kg !) et parfois deux pour impressionner les copains ou le patron. Entre deux sacs, un petit coup d'oeil à l'écran TV pour voir le score du match de football anglais en cours. Des visites sont régulièrement organisées pour convaincre de nouveaux planteurs de fournir leurs fèves. Je repars déçu car aucun chocolat n'est fabriqué ici ni ailleurs dans le pays car la matière première est exportée vers les industriels et les artisans chocolatiers du monde entier. L'Ouganda est loin d'atteindre les productions ivoiriennes et ghanéennes totalisant 70% de la production mondiale. J'attendrai donc Noël dans quelques jours pour me rattraper.

Une autre curiosité de la région est la récolte des sauterelles. Elles sont leurrées la nuit par d'immenses pièges de tôles métalliques de 6 à 7 m de hauteur et 10 m de diamètre fortement éclairées puis tombent dans des barils avant d'être grillées. Excellent amuse-bouches pour ouvrir l'appétit mais à consommer avec modération !

Un jeune me mène jusqu'au producteur de vanille qui a malheureusement cesser toute production car il n'était payé que sur la base d'un euro le kg.

Le parc national de Semliki, du nom de la petite rivière séparant l'Ouganda du Congo, est un paradis pour les ornithologues. Un chemin de 15 km permet d'aller jusqu'à la frontière. Vu l'heure tardive, je me contente avec mon guide Justice d'une boucle plus courte passant par deux sources chaudes, sorte de mini-geysers, en arpentant les chemins boueux tracés par les petits éléphants et les buffles. La mythologie locale en restreignait l'accès à l'un des sexes. Il utilise parfois son téléphone portable pour attirer avec les chants enregistrés des oiseaux repérés de loin. Nous ne voyons aucun humain et apercevons le fameux "hornbill" et également deux serpents vert vif.

Retour de l'autre côté du massif du Ruwenzori, cette fois au pied de la montagne, à Kilembe, porte d'entrée du parc national. Une vingtaine de maisons et une partie de la route ont été emportées en mai dernier par les crues des énormes torrents qui encerclent le village. La plupart des bâtiments d'habitation sont d'anciens baraquements de mineurs de la mine de cuivre abandonnée il y a 40 ans mais en cours de réouverture par les Chinois. Le marché se tient en fin d'après-midi et propose classiquement fruits, légumes, viande fraîche mais également des vêtements donnés par les pays occidentaux, ce sont les plus malins qui profitent de la donne...

Il faut une semaine pour grimper, souvent dans la pluie et le brouillard, jusqu'à la cime. Pour moi et mon genou flageolant, ce sera simplement les contreforts jusqu'aux chutes de Rokoki de 30 m de haut. Les paysans vaquent à leurs occupations et peu connaissent l'anglais. Les flancs très verdoyants sont plantés de bananiers, d'avocatiers, de caféiers et d'arbres aux fruits de la passion. A chaque passage en vue d'une case, les enfants me crient "Hello" jusqu'à ce que je disparaisse de leur vue. Au sommet, les bûcherons m'assurent qu'à chaque arbre coupé, un autre est planté. A voir...




Direction le parc national Queen Elizabeth, le plus beau et le plus varié du pays, tant en faune qu'en paysage. De la route nationale, on voit même des éléphants. A peine sorti du matatu, un chauffeur de minibus avec plate-forme d'observation m'aborde pour me proposer, ainsi qu'à mon voisin, des "game-drive", des visites du parc national au coucher et au lever du soleil, les meilleurs moments pour observer les animaux en quête d'eau et de nourriture. Nous acceptons son offre raisonnable.

Une partie du parc est recouverte de savane avec des papyrus ou de nombreux cactus de 6 à 7 m de haut, rappelant des denses bouquets. Les antilopes et les oiseaux sont les plus répandus et détalent devant le véhicule. D'énormes troupeaux de buffles se voient à quelque distance. Quelques éléphants et phacochères nous évitent. Dans le village de Kyseni au bord du canal de Kazenga, une quinzaine d'hippopotames cohabitent avec les pêcheurs dans leurs canots. Au retour, de nuit, une hyène fuit en sifflant.

Le lendemain matin, les arbres flottent dans la brume. Il semble que la faune s'est habituée à nous. Outre les animaux de la veille, nous voyons quelques grues couronnées, l'oiseau symbole du pays, au sol et en vol et, cerise sur le gâteau, un groupe de 10 lions finissant sa nuit au milieu des antilopes. Notre chauffeur a été informé de leur présence par portable par ses collègues, à charge de revanche. Les premiers rayons du soleil les réveillent et les femelles repèrent le petit déjeuner. Certains mâles se battent avec leurs cornes pour s'assurer les femelles au point qu'ils ne voient pas approcher une lionne. Un autre broute tranquillement alors qu'une lionne se cache derrière une butte à 20 m. Aujourd'hui, les antilopes sont plus malignes et ne laissent pas approcher. Tant pis pour les visiteurs, tant mieux pour les élégantes antilopes !

De l'autre côté du parc national, non loin du Lac Edouard (le fils de la reine Victoria qui lui succédera), près du village de Katwe, se trouvent de nombreux cratères volcaniques, certains vides, certains remplis d'eau, salée ou non, selon la saison. L'eau salée attire les buffles malades ou des milliers de flamants roses qui iront sous d'autres cieux vers les lacs Natron et Turkana au Kénya, une fois le lac vide. Un troisième, à très haute salinité, est exploité depuis 400 ans par diverses familles possédant des concessions. Hommes et femmes se partagent le travail. On se croirait à Guérande avec les nombreux paluds créés pour l'évaporation de divers types de sel sur la moitié des rives. L'usine de traitement ayant cessé de fonctionner à l'époque d'Amin Dada, les lourdes plaques de sel, à raison de 80 tonnes quotidiennes, sont exportées vers les pays voisins.

La nuit, après un bon repas au lodge, je salue les gardiens avant de rejoindre ma modeste pension, à 200 m. Etre poli me sauve peut-être la vie car ils m'annoncent avoir vu, lors de leur ronde, un hippopotame et un éléphant avant d'arrêter le véhicule de leurs collègues pour me transférer en toute sécurité. Le lendemain, sur la piste de l'aéroport tout proche, d'énormes bouses encombrent le terrain...

Avant de quitter ce superbe parc, j'embarque à Mveja sur un petit bateau pour longer les bords du canal de Kazenga : troupeaux d'éléphants buvant au bord de l'eau, nombreux hippopotames avec leurs petits se coursant parfois sur terre et dans l'eau, quantités de buffles, quelques crocodiles bien tranquilles non loin d'une réserve d'oiseaux (hérons, cigognes, pélicans, marabouts). Un enchantement partagé tant par les muzungus que par les Ougandais !




Je partage mon dernier matatu vers le lac Bunyoni, à quelques km du Rwanda, avec le préfet local voyageant incognito pour se rendre compte de la vraie vie de ses concitoyens. Il comprend comme moi que Dieu est sourd, au vu du volume sonore des paroles échangées par les trois prêtres également montés à bord pour participer à un séminaire.

Dehors, des plantations de thé étendues jusqu'à l'horizon attendent les petites mains féminines qui viendront cueillir les feuilles une par une.

La route d'accès est en travaux et les cailloux sont cassés à la main, hommes et femmes étant mis à contribution. De manière générale, les femmes travaillent souvent sur les chantiers ce qui ne les empêche pas d'assurer les corvées d'eau et de bois. Les mauvaises langues disent que les hommes se contentent de bâtir la maison...

L'arrivée au bord du lac de cratère est féérique, les dizaines d'îles semblant flotter dans la brume, notamment au coucher de soleil. Ce lac d'origine volcanique a le même âge que les volcans auvergnats. Il faut négocier un bateau à moteur ou une pirogue pour se rendre sur les îles. L'île d'Itambira s'est en partie transformée en hôtel écologique, les chambres étant des bungalows sans porte ouverts sur les terrasses ou des cabanes en bois. L'électricité est produite par le soleil est c'est d'ailleurs le seul moment du voyage où je peux me connecter sans problème au réseau internet en deux semaines. Les oiseaux nous offrent en permanence des concerts philarmoniques. Les nombreux volontaires des ONG tant ougandaises que rwandaises viennent se reposer ici entre deux missions ou rencontres avec les gorilles ou les chimpanzés.

Le lendemain, jour de marché au bord du lac : les pirogues fendent la surface de l'eau et les discussions des passagers portent loin dans cette atmosphère de brume. Après mes emplettes, je décide de jouer contre le champion local de billard, il me met la pâtée par 4 fois mais me ramène dans sa pirogue à l'hôtel.




Il me faut malheureusement quitter ce petit paradis et parcourir en bus les 450 km jusqu'à l'aéroport d'Entebbe. L'arrivée à Kampala est chaotique à quelques jours de Noêl, les bouchons n'ayant rien à envier aux nôtres. Les journaux annoncent l'envoi de troupes ougandaises pour restaurer l'ordre au Sud-Soudan voisin, en guerre civile depuis une semaine (heureusement que les formalités douanières m'ont dissuadé d'y faire un saut !), et protéger les 200000 ressortissants ougandais y travaillant.

J'ai juste le temps de négocier un taxi pour mon deuxième raid sur l'aéroport d'Entebbe, il lui faudra près de 2 heures en doublant n'importe comment et même en prenant le sillage d'un convoi officiel...

< Conclusion

L'Ouganda résume l'Afrique que j'aime : sourires omniprésents, agressivité absente malgré la misère, chaleur tempérée par l'altitude, luxuriance et variété des paysages, faible fréquentation touristique, nourriture correcte, système D à l'africaine, conscience environnementale des autorités, faibles distances.

Volez vers l'Ouganda, l'inconnu des Grands Lacs !

Patrick Kernen (75)
Janvier 2014

< Fiche pratique


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