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vendredi, 23 mars 2018 10:59

Aux sources du Mekong

François revient d'un périple en Asie du sud-est, il nous en dévoile les contours :

 Bangkok

Premier matin à Lamphu house, notre guest-house, près de Khao San Road, le quartier routard du centre de Bangkok. Nous sommes arrivés hier soir après 15h 30 de vol, dont une escale à New Delhi, et je ne sais plus combien de décalage horaire.

La cour est sympa avec des fauteuils en rotin, des buissons de fleurs et de verdure et des chats maigres, siamois évidemment. Elle est vaste cette cour, à peine occupée par quatre ou cinq mobylettes, quelques vélos, une voiture dans un coin, et ombragée. Quelques westerners sont accrochés à la Wi fi et à leur téléphone qui charge, exactement comme moi. Les tous petits enfants du personnel tournent en rond sur leurs vélos. L’odeur est chaude, moite comme tout le reste, un peu boisée aussi, c’est incroyable en centre-ville, un peu café allongé, ça c’est le bar juste à côté de moi, un peu baume du tigre, rapport au salon de massage dans le passage d’entrée. Le ronronnement incessant vient des ventilos et de la ville tout autour.

Un scooter vient de rentrer dans la cour, « Airport... airport... » annonce le gars. Un jeune couple avec deux sacs à dos conséquents l’appelle et ils le suivent. Non ce n’est pas possible, l’aéroport est bien trop loin pour le scooter... ok, il va simplement les diriger vers un bus forcément garé en dehors des rues grouillantes d’ici.

On a envie d’utiliser les navettes fluviales pour se balader dans Bangkok, on a envie du paysage de buildings au loin et de boui-boui sur pilotis tout près, du va et vient des bateaux tout fins qui filent, des trains de trois ou quatre grosses barges tirées par un petit remorqueur. Vaguelettes d’eau marron et grosses touffes vert brillant de lotus flottants. Une fois que l’on a repéré l’accès aux pontons, plutôt dissimulés dans des ruelles encombrées d’étalages de souvenirs, on n’utilise plus que les navettes et aussi beaucoup la marche à pied, largement dix kilomètres chaque jour au compteur de pas.

Le grand palais royal, What Phra Kaeo, est pas mal, à la fois kitsch et somptueux, avec de grands stupas dorés.
Le grand bouddha allongé du What Pho est vraiment sympa, on en fait le tour lentement, après s’être déchaussés bien sûr. Sourire goguenard de cet énorme bouddha lui aussi doré, que l’on voit de très près. Il est impressionnant, un peu à l’étroit dans son temple. Beaucoup de touristes, dans une ambiance respectueuse. Le cliquetis des piécettes qui tombent dans les vases d’offrandes tout le long de la galerie, on peut acheter un petit bol de piécettes pour 20 baths.

CuisineLes deux rues du quartier de Khao San Road s’animent le soir, c’est une succession de restos, de bars plus ou moins clinquants, de néons, de boutiques de fringues, de tatoueurs. La rue est pleine d’une foule de vendeurs qui interpellent gentiment, de stands de brochettes, de cuisines à roulettes de soupes de nouilles ou de brochettes, de vendeurs de scorpions grillés en mini brochette, à manger peut-être ou à garder comme trophée ?

On observe la foule des touristes, plutôt jeunes, en débardeur, une bouteille de bière à la main, souvent lourdement tatoués, barbe de quelques jours, suants. Il y en a de plus âgés, bedonnants, plus fatigués, les tatouages délavés par les années, toujours suants. Je suis content d’avoir échappé au tatouage.

On repère des groupes de chinois, qui suivent sagement leur guide. Stéphane me fait remarquer de très très jeunes filles asiatiques, chinoises ? Peut être coréennes ? proprettes et autonomes, une glace au lait de coco à la main, elles s’amusent aux portraits avec leurs portables sur manches télescopiques.

Demain départ pour Ayutthaya, d’abord traversée de Bangkok en navette fluviale, puis un ou deux kilomètres de marche sac au dos en ville, puis deux heures de train omnibus.

Lop Buri, 140 km de Bangkok.

Comme Ayutthaya hier, Lop Buri est une ancienne capitale du royaume du Siam.
C’est là qu’en 1675 a été reçu très favorablement une ambassade de Louis XIV.
Du coup cela mérite bien une petite visite au musée national de Somdet Phra Naraï, au centre de la ville historique, dans une large boucle de la rivière.
Le musée montre l’implantation humaine depuis l’époque de la pierre taillée, puis l’âge du cuivre... jusqu’aux splendides petits royaumes rivaux de cette grande plaine de culture du riz, au centre des multiples royaumes guerriers de l’ensemble de la péninsule indochinoise.
On nous explique que l’influence des khmers d’Angkor diminue au cours des siècles et que les birmans prennent de plus en plus d’influence à coup de destructions de villes.
Lop Bhuri
Beaucoup de statues de Bouddha dans le musée, en pierre, en bronze, assez grandes ou minuscules amulettes : on finit par reconnaître le sourire « Khmer » des statues : bouddha au visage carré, bouche large et chignon de lotus sur le sommet du crâne.

Les palais en ruines de Lop Buri, en briques rouges, gardent une disposition carrée, une enceinte et quelques stucs qui rappellent Angkor. L’enclos à éléphants est debout, bien restauré, un arbre énorme et magnifique au centre.

Mais la vraie attraction de Lop Buri ce sont les singes, des macaques, partout dans la ville. Un temple, en briques noirâtres et en ruine, leur est dédié. Ils sont vaguement protégés, et il parait qu’il y a un jour de fête en leur honneur, ils sont alors les enfants de la divinité et tout et tout. Bref une partie de la population leur apporte du pain ou des sacs de vieux légumes, une autre se tient bambou en main pour protéger son étalage, voire leur tire dessus des petites billes dures avec une kalachnikov en plastique quand ils s’approchent de la boutique.
Les touristes achètent des graines de courges pour les singes et on vous donne, en même temps que le ticket pour le fameux temple, une badine bien utile quand ils commencent à se poursuivre et à grincer entre eux ou s’intéressent d’un peu trop près à vous.

Ce matin dans la rue on était moins méfiants, et on s’est fait chaparder un sac plastique que Stéphane tenait à la main. C’était une vraie attaque, concertée à plusieurs, vaguement inquiétante. Pour récupérer nos mangues, il a fallu se disputer ferme avec un petit pas, sympa du tout, qui nous montrait les crocs.

Stéphane est ravi : nos chambres ce soir donnent sur les toits où les singes gambadent. Ils viennent grimper sur les grilles de nos fenêtres et mangent du pain dans la main.
Sous la petite pluie de cet après-midi, ils arrêtent un peu de courir sur les fils électriques en couinant, de s’épouiller avec langueur et de s’enfiler chacun leur tour, furtivement, en regardant ailleurs... pour venir se blottir tendrement tête contre épaule par petits groupes de deux ou trois, les tout petits au centre.

Noom’s guest-house est une adresse à retenir, une adresse typique routard.
Nos chambres sont à 250 baths (moins de 7 €), elles donnent sur la rue et le traffic des scooters est un peu bruyant.
Chambres spartiates, murs blanc-rose, rideaux à fleurs délavés et déco absente, les matelas sont fermes, tout est ok.

Chez nous c’est escalier en bois un peu branlant et ventilo chuintant qui tourne au plafond, mais il y a des chambres avec une vraie clim, qui donnent sur une petite cour sympa encombrée de plantes en pot, de belles verdures grimpantes en liberté, de quelques totems colorés et de vieux vélos déglingués déco.

Dans la salle de resto, boiseries défraîchies et tentures, un billard tout neuf et un piano dans un coin, mais personne ne joue pour le moment. Aux murs des publicités manuscrites pour des excursions à la journée : ni la “foot print” sacrée du bouddha, marque naturelle sur le rocher, ni la grotte aux innombrables chauve-souris ne nous tentent.

Le patron, Noom, est accueillant, les serveuses, T shirt uni et jean coupé aux genoux, sont sympas et plutôt discrètes.

Il flotte dans ma tête l’idée des années 60/ 70 et des GI’s en permission... les gars qui parlent fort et américain à côté de nous seraient les fils ? imagination !!
De jeunes hommes thaï fluets, l’air très doux, nous sourient... on évoque Proust et le mot giton, dont on a un peu oublié le sens, péjoratif ou pas trop ?

Pour nous c’est “curry porc ou chicken, sauce lait de coco légèrement spicy”, il en existe plusieurs variantes, jaune rouge ou vert, un délice à chaque fois. Pour nos voisins on voit passer l’inévitable international spaghetti bolognaise et d’énormes hamburgers frits. Bières thaï bouteille ou pression de 500 ml pour tout l’monde.

On revient surtout pour la musique des années soixante-dix ou quatre-vingt : Bob Marley, Santana, Dire strait, Steppen Wolf, Pink Floyd .... Les psychédéliques qu’on avait un peu oubliés.
Stéphane reconnaît le titre et le groupe aux premières mesures, souvent le nom du leader et même l’année, il anticipe le solo de guitare et on chantonne en cœur.

On serait bien resté une nuit de plus, mais on n’a bien sûr rien réservé, et c’est complet. Allez, on va prendre un mojito pour changer de la bière !

Jusqu’à l’arrivée à Chang Raï

Lors de mon précédent voyage en Thaïlande.... en sortant d’un petit temple isolé dans la campagne, une vieille femme vendait de petits oiseaux en cage.
Elle nous avait fait comprendre qu’il s’agissait de libérer le petit oiseau en échange d’un mérite ou d’un vœu.
J’avais été ému quand elle avait accompagné Héloïse dans son geste et que l’oiseau avait disparu dans les airs vers les grands arbres.
Le don de la vie, le don de la liberté et la façon simple d’en transmettre l’idée m’avaient touché.

J’ai retrouvé cela au marché qui entoure le temple de Way Phra Si Ratana à Phitsanulok. Ici ce sont des sacs transparents de petits poissons qui sont vendus pour être relâchés dans la rivière juste à côté, en bas d’une longue série de marches. Il s’agit de demander des grâces en les libérant : les bigorneaux pour le bonheur en amour, les petites anguilles pour chasser le chagrin et les poissons argentés pour la prospérité. Je ne résiste pas à cette idée de liberté et j’ai plaisir à voir disparaître dans les herbes les petites anguilles, surtout en hommage à toutes les anguilles fumées que j’ai dégustées.

Jusqu’à Phitsanulok, nous avons voyagé en train, deux fois deux heures puis quatre heures, très facile ! Charme désuet des wagons et des gares, ambiance bon enfant et pour se distraire les vendeurs qui déambulent dans l’allée centrale panier au bras, et qui sans arrêt proposent de l’eau, des plats avec du riz, des fruits découpés ou des sucreries un peu mystérieuses que j’ai envie d’essayer.

Aujourd’hui c’était le bus jusqu’à Chang Raï, tout au nord du pays. Les heures d’attente au départ à cause de l’horaire modifié, les huit heures de bus bruyant et les derniers kilomètres agrippés stressés dans un tuk tuk parce que trop speed le gars... pour arriver enfin au centre ville, fatigués et un peu éberlués.

On découvre Chang Raï à la nuit noire, on est crevés et je trouve la ville moche et beaucoup beaucoup trop de touristes. Je regrette Phitsanulok et sa tranquillité provinciale, quand nous étions les seuls de notre espèce.

À la recherche d’une guest house, on remonte Jet Yod road où s’alignent les bars, qualifiés joliment par le guide du routard, de bars à filles. Elles nous interpellent tout le long de la rue d’une voix un peu haut perchée « hellooo... massaaage... ». Plus imposantes que jolies, il nous faut répondre d’un geste ou d’un sourire et elles nous paraissent ... je dirais encombrantes.

Je me réconcilie avec Chang Raï pendant notre balade au marché de nuit. Il y a toujours autant de bibelots et de tissus pas vilains, beaucoup de touristes mais ce n’est pas vraiment la foule et on s’y est déjà réhabitués. Le hot-pot au porc et poulet dans un brasero en terre est délicieux et la scène de musique et de danses thaïlandaises, avec la lune presque pleine au dessus, c’est très agréable.
à suivre ....

Les gorges du Mékong

On est à Pak Beng, c’est l’étape obligée à peu près au milieu du parcours de deux jours en bateau.

Petit dej sur la terrasse de la guest-house, avec vue sur le fleuve. Café noir et cigarette locale pour Stéphane, soupe au lait de coco, avec des pommes de terre, et thé vert pour moi. Le petit chat câlin de la maison nous glisse entre les mollets.

Le soleil se lève dans la brume au dessus des collines bleutées qui enserrent le Mékong marron clair. Sur la berge en face on devine deux éléphants qui traînent avec leur maître.

Un bateau de transport descendant fait de lentes manœuvres pour accoster au port face au courant. Le port... ce sont une douzaine de longs bateaux de passagers qui paraissent accrochés en grappe, une autre grappe de transports où des hommes déchargent à l’épaule des sacs de ciment, et une large route en béton gris qui remonte dans le village.
Un minuscule speed boat aux couleurs fluos file, suivi d’une gerbe d’écume, les cinq ou six passagers portent curieusement un casque intégral, pas très rassurant.

Les brochettes fumantes et les étals des échoppes nous attirent, c’est vrai qu’il nous faut des provisions pour la journée en bateau. Saucisses et cuisses de poulet enveloppées dans une feuille de bananier, baguettes de pain héritage français, en fait plutôt une brioche allongée et spongieuse. Dans un sac plastique, une petite soupe d’épinards au gingembre, à moins que ce soit une salade, on verra bien, et des petites bananes. On s’y perd avec la monnaie laotienne, cent mille kips valent dix euros.

On est en saison sèche, la marque des plus hautes eaux est parfois huit-dix mètres au dessus. Le Mékong n’est souvent pas très large, 100 mètres à peine, mais quelquefois beaucoup plus. Les énormes remous et les contre-courants derrière chaque rocher sont impressionnants. Des amas de roches noires aiguës sont alignées dans le sens du courant, des écueils pointus à fleur d’eau. Le bateau louvoie dans le courant principal, roule un peu dans les vagues, hier je trouvais cela un peu inquiétant mais aujourd’hui ça va.

Avec le vent de la route il fait froid, pull et coupe-vent suffisent à peine. La petite fille laotienne assise à côté de moi, est enroulée dans sa couverture rose hello-kitty, elle mange des springles, elle s’ennuie. Aujourd’hui on s’est prudemment installés à l’avant du bateau, loin du moteur assourdissant et on profite bien plus du paysage.

Le fleuve tourne entre des collines escarpées couvertes de jungle un peu brumeuse, la plupart du temps c’est désert et sauvage, on suit le trajet sur la carte. On distingue des bananiers, quelques plantations d’hévéas, droits et bien alignés, déplumés à cause de la sécheresse.

Rarement un village, aux toits de tôles rouillées et murs de bambous, un marché de quelques toiles sur une plage avec les petits bateaux fins amarrés et les gamins qui font des signes. Des jardins, entourés d’une palissade de bambous entrelacés, descendent sur les dunes.

Loin des villages, on voit des orpailleuses, dans l’eau jusqu’aux cuisses, qui tournent leur battée, des vaches, des buffles blancs et des chèvres en liberté le long de la berge.

Le Mékong, paraît-il le 5 -ème plus long fleuve du monde, traverse ici un mélange de collines escarpées couvertes de jungle et de campagne perdue.

Les collines s’adoucissent, le fleuve s’élargit, et c’est toujours autant campagnard. Il est 17 h et on arrive à Luang Prabang.

Luang Prabang

Assis au pied du stupa au sommet de la petite colline de Phousi on voit bien le site de la ville : le Mékong, doré, majestueux et le méandre de la rivière Nam Kham qui enserre la ville ancienne. De la verdure partout, quelques palmiers qui flottent, de vastes temples avec leurs cours blanches et leurs toits à étages et, à perte de vue...aucun immeuble.

Sur les marches en descendant la colline je retrouve les petits oiseaux à vendre. Au plumage des ailes légèrement différent je comprends qu’ils sont « boy and girl » comme le précise la vendeuse. Aussitôt libérés les petits oiseaux s’appellent frénétiquement d’une branche à l’autre, ils se cherchent !

À Luang Prabang, quasiment pas de construction de plus d’un étage, des rues droites et des maisons coloniales françaises bien restaurées. Pour la frime, une traction avant flambante, comme neuve, est garée devant l’ancienne maison du district. Sur le fronton, à gauche le drapeau laotien, à droite le drapeau rouge faucille et marteau.

Le Palais Royal, vieillot, actuellement un musée, est fermé. Le jardin avec ses palmiers maigres, ses allées et ses massifs à peu près taillés est digne d’un film nostalgique.
Nombreux temples un peu tous identiques : la cour, le ticket d’entrée, les dragons accueillants, les logements des bonzes derrière sous des arbres, le panneau “take off your shoes “ celui avec « donation for monks ».

J’aime entrer pieds nus dans la pagode, son plafond sombre rouge et doré, ses colonnes et la forêt de bouddhas de toutes tailles debout ou assis, de chapelles, de cierges et d’offrandes, le tout surmonté par un grand bouddha d’or au sourire tranquille.

Il fait froid ici, ciel couvert, 15-18 degré, on a tous nos habits sur le dos et c’est un peu juste. On n’est pas seuls à avoir froid, sur le pas de leurs maisons les laotiennes sont accroupies ou assises sur de petits tabourets groupés autour des feux de bois, en ville autour des braseros, et les petits enfants dorment sur des nattes près des feux, enroulés dans une couverture.
Les bonzes, un bonnet safran enfoncé sur la tête, sont assis devant leur cellule autour d’un petit tas de braises, un chat s’y réchauffe aussi. Il flotte dans toute la ville une odeur de feu de bois.

On prend la pirogue passager pour passer sur la rive droite et c’est tout de suite la pleine campagne, les maisons de bois et les routes de terre. Balade dans les sous bois jusqu’à la grotte sacrée de Sakarindh : il n’y a plus d’électricité et un petit garçon nous prête des torches en plastique et nous accompagne. Temple de Wat Long Khoun, Bouddha en ciment doré et escalier qui descend droit jusqu’à la berge du Mékong. On cherche et on finit par deviner sur le mur du temple les anciennes fresques aux femmes opulentes « qui témoignent de l’illusion du monde avant l’arrivée de Bouddha dans la vie réelle » (dixit le guide).

Sur le chemin du retour on déjeune d’une omelette aux herbes dans une gargote. Odeur du feu qui couve et odeur du bois coupé travaillé : juste en dessous, des hommes scient et rabotent, ils assemblent le fond d’une pirogue.

Coucher de soleil sur les collines bleues, le Mékong et les rochers, on apprécie les sympathiques et frêles passerelles de bambou.

À peine la nuit tombée, le marché de nuit s’installe, impeccablement aligné dans la rue principale. Les étalages de souvenirs, de bibelots, d’étoffes, de cartes. On cherche quelques petites choses qui pourraient faire plaisir au retour, sans beaucoup d’énergie. Discuter, diviser le prix par deux, tout ça nous fatigue à l’avance. On aperçoit des chinoises bien plus habiles que nous, qui marchandent, s’éloignent, sont rappelées, reviennent ... et font affaire.
Les prix qui varient, les billets qu’il faut soigneusement recompter, les petites taxes à chaque entrée de temple finissent par nous agacer.

Comme d’habitude on s’inquiète de savoir où manger seulement quand on commence à avoir faim. On discute un peu du lendemain, très très peu de ce qu’on fera dans deux jours. Stéphane, guide du routard bien en main, est le maitre? de la route.

Demain matin, trois heures de minibus pour le village de Nong Khiaw au bord de la Nam Ou.
à suivre...

Treks à Noung Noï

Ce matin une heure de bateau, accroupis, serrés avec d’autres touristes, pour débarquer à Noung Noï, encore plus au nord, un peu plus en montagne. C’est la seule façon d’y arriver, même si sur la carte il existe une piste que j’évalue à 40-50 km.

Une seule rue, alternativement poussiéreuse et boueuse, beaucoup de guest-houses et d’échoppes mais pas grand chose à vendre. Le routard, toujours dans la catégorie “très bon marché”, nous guide vers chez Nickas. Un bungalow pour nous, avec balcon au dessus de la rivière, feuilles des bananiers à toucher et paysage de collines escarpées couvertes de jungle.

Grandioses ces hautes collines karstiques, avec plusieurs plans de gris bleu dans la brume. Des rochers, des pans de falaises, de grands arbres dépassent de la forêt moussue. Au pied d’une falaise on visitera la grotte où les habitants se réfugiaient pendant les bombardements américains en 67-72.

C’est exactement la couleur vert bleu et les crêtes déchiquetées des paysages d’estampes chinoises et japonaises, le symbole de la montagne. Juste devant, il ne manque ni la cabane isolée au milieu des rizières, actuellement toutes sèches, ni la famille de buffles. Une mobylette devant la cabane et un jeune homme ahuri confirme de la main quand je lui demande notre chemin.

Après la grotte, on poursuit la balade une dizaine de kilomètres jusqu’à Ban Nan. Sur la route, à chaque personne que l’on croise : « sabaïdee... » (bonjour-ça va) en trainant sur la fin, c’est notre seul mot en laotien.

Ban Nan, village Hmong aux maisons de bois sur pilotis, les murs sont en tressage de bambou. Coqs qui chantent, volailles qui grattent, chiens allongés et cochons noirs en liberté qui fouillent les ordures. Les enfants courent dans la poussière rouge et nous regardent du coin de l’œil, de loin. Deux femmes enveloppées dans leur sarong se lavent les cheveux au robinet entre les maisons.

Une bière dans la première petite échoppe. L’échoppe, c’est un volet relevé sur trois étagères, de l’eau, des cigarettes, des sachets de soupe chinoise, des rubans de dosettes de shampooing et de lessive et quantité de biscuits salés en sachet. Le vieil homme est ravi, sympa, il va nous chercher des verres dans sa maison et s’assoie avec nous. En anglais à peu près et avec les mains, on échange les informations essentielles sur la vie : nos noms, notre âge et combien d’enfants nous avons ?

Enhardis, on repart le lendemain pour une balade plus longue vers le village de Houay Bo, une autre ethnie. Marrant de traverser la rivière (petite ?) sur un pont d’un gros tronc abattu, chemin qui zigzague sur les murets des rizières à sec... on manque se perdre, sans l’aide de maps.me puisque mon portable est déchargé.

On rentre à la maison juste à la nuit tombante. Une douche bien agréable, en fait un filet d’eau un peu chaude, et on se retrouve sur la terrasse au dessus de la rivière Nam Ou, bière pour Stéphane et Lao whisky pour moi. Jeu de mémoire entre nous sur les innombrables BD, de quêtes et de luttes dans la jungle humide et hostile ; Tiger Jo, Jungle Jim, Kim Brazil.... Ceux qui savent sauront.

Van Vieng,

Van Vieng, c’est une toute petite ville entourée de belles collines déchiquetées, karstiques, couvertes de jungle, avec à peu près au centre, une large chaussée gravillonnée de 1,5 km de long, une ancienne piste d’aviation secrète de la CIA.

Il y a aussi une belle petite rivière courante, la Nam Song. Sur une de ses rives des hôtels et sur l’autre une longue plage de galets. Une ribambelle de mini terrasses de bois les pieds dans l’eau : des restos où les gens du coin viennent déguster des grillades, assis en tailleur autour d’une petite table et aussi lâcher des lanternes dans le ciel de la nuit, pour porter bonheur, bien sûr.

Ce sont peut-être nos soirées tranquilles tout près de la rivière qui nous ont fait bien apprécier Van Vieng, et rigoler de la foule de touristes.

Les jeunes touristes coréens adorent les buggys, ces petites voitures bruyantes. Ils sont sympas ces coréens, ils nous font des petits signes et des sourires malgré leur masque médical. À vélo sur les routes en terre, on arrive à leur pardonner le nuage de poussière des buggys qui nous dépassent.

Pour nous ce sont balades à vélo, grimpettes au sommet de la colline d’où la vue sur la vallée est magnifique, grottes vastes et intéressantes... et le « blue lagoon », piscine naturelle où nos amis coréens sautent et plongent en riant aux éclats, prudemment ou ridiculement équipés de brassières de sauvetage et de caleçons anti UV.

La descente de la rivière en kayak semble minable. On est un moment tenté par le tubing : descendre la rivière, doucement allongé sur une chambre à air de camion. Trop sage maintenant, me dit Stéphane, qui raconte les années folles de Van Vieng en 2005, où le tubing, arrosé de beaucoup d’alcool le long du parcours, était une attraction dangereuse ! (« I survived Van Vieng tubing ! » était la devise).

Le comble est à venir : de grands panneaux annoncent l’ouverture bientôt d’un parc aux dinosaures ? Soon opening c’est marqué !... mais personne ne sait ni quoi ni où.

*****

Mais je n’ai pas présenté « sérieusement » le Laos, et cela doit vous manquer ?

Petit pays de 7 millions d’habitants, à 70 % rural.

Petit pays arrosé par les bombardiers US. Il reste des millions de bombes à fragmentation non explosées, (UXO) toujours enfouies, plutôt du côté Viêt Nam, dans la plaine des jarres et le long de la piste Ho Chi Minh.

Petit pays enclavé entre deux puissants voisins, la Thaïlande et le Viêt Nam, chacun dix ou quinze fois plus peuplés. L’ensemble étant surmonté de l’énorme Chine bienveillante et redoutée.

Et le Mékong qui parcourt le pays du nord au sud, le plus souvent il est la frontière avec la Thaïlande. L’eau du Mékong est un enjeu régional bien sûr,

On nous parle des gigantesques chantiers d’autoroutes et de TGV qui vont traverser le Laos, joindre Kunming au Yunnan en Chine avec Bangkok et même Singapour. Ils ont démarré, capitaux chinois et chantiers chinois bien sûr, l’inauguration serait même prévue pour 2021... Il y a aussi une autoroute en projet vers Hanoï, un train et un accès à la mer avec les Viêt Namiens. Le long des routes, on voit de grands chantiers et des barrages avec d’immenses panneaux bilingues, chinois-Lao.

Notre interlocuteur, Philippe, un français installé ici depuis dix ans insiste : « cette semaine, vous allez voir, avec le nouvel an chinois... des gros 4x4 qui se suivent, avec des plaques bleues, c’est les chinois, ils viennent ici en vacances ! la frontière n’est qu’à 450 km, c’est rien !»

Ça reste très très paisible ici, et je vous souhaite à tous un très bon nouvel an chinois, avec les tambours, les dragons de papiers qui ondulent, et les lanternes rouges dans les rues.

Vientiane, la fin du voyage

Je suis à Vientiane depuis hier.
J’ai toujours bien aimé la sonorité douce et charmante, féminine, de “Vientiane”. D’ailleurs, ils écrivent « Vientiane-Capitale » sur les panneaux, pour faire un peu sérieux.

Stéphane a préféré rester plus au nord, dans la campagne, sortir du guide du routard, découvrir un bac improbable, explorer les zones les plus blanches de la carte du Laos.

Ma première visite est pour notre fil conducteur, le Mékong sur la belle promenade du centre ville. À part quelques jolis jeux d’eau, c’est un marché de nuit comme les autres, des gens du coin aussi à en juger par l’immense parking à mobylettes. Je suis un peu déçu, on est séparé du fleuve par une bande de terre herbue de 500 m de largeur au moins et l’eau est à peine visible, sans aucune activité vue d’ici.

Les noms des rues sont écrits aussi en français, c’est touchant. Des rues larges et ombragées, peu de circulation, quelques maisons du début du vingtième. J’ai lu que Vientiane est la capitale la plus tranquille d’Asie, ce doit être vrai !

Visite au Pha That Luang, grand stupa doré de carte postale, emblème national visible sur chaque billet de banque, puis au temple Wat Sisakhet, seul temple très ancien, 16ème siècle, bien restauré, et du Wat Ho Phra avec ses rangées de bouddha de bronze et de pierre aux beaux visages patinés par les caresses des fidèles.

Visite d’émotion au centre COPE qui s’occupe des victimes des bombes à fragmentation, en fait surtout du déminage des villages. Penser que des enfants, en grattant le sol pour récupérer le métal, sautent sur des bombes qui ont été larguées alors que leurs parents n’étaient pas encore nés.

Pour éviter les restos à touristes, je déjeune dans une gargote un peu sombre sur une rue transversale, ma deuxième soupe de nouilles de riz, après celle du petit déjeuner.

Agréable massage des pieds, mais j’ai beau être averti, ça fait rudement mal quand elle appuie sur la plante du pied avec une espèce de petit bâton rond...
Et la masseuse se moque de moi.

J’achète deux bouteilles d’eau et une grappe de petites bananes pour la route : ce soir je prends le train de nuit pour Bangkok... ça sent la fin du voyage.

> François Brun (Paris)
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