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jeudi, 12 décembre 2019 11:31

Sur le chemin de Stevenson

Arrivée de la transhumance des moutons sur le Mont Lozere Arrivée de la transhumance des moutons sur le Mont Lozere

Florac, le 24 juin 2019

Je me réjouis d'avoir abandonné mon cahier au gîte de Pradelles. C'était trop lourd. Ces quelques feuilles feront bien l'affaire, car je n'ai encore jamais trouvé le temps d'écrire au cours de ce périple. Trop occupée que j'étais à savourer pleinement l'expérience. Ici, attablée à l'intérieur du bar, après une bière ambrée qui m'a un peu retourné la tête et avec un match de foot féminin en bruit de fond, je rédige ces quelques lignes. L'étape a été longue. Il fait très chaud. J'ai les pieds en feu et la jambe gauche en vrac. C'est ça aussi la randonnée. Il faut souffrir pour connaître l'extase d'un bivouac paradisiaque ou d'un lever de lune sur la montagne. Demain, une journée de repos s'impose. J'ai posé ma tente au camping. J'irai descendre les gorges du Tarn en canoë. Un peu de fraîcheur et de repos pour mes jambes. Le rêve !

Je marche seule depuis huit jours. J'ai réussi à m'échapper de mon quotidien parisien. C'est déjà une victoire en soi. Du temps rien que pour moi, pour m'immerger dans la nature, pour respirer à plein poumon, pour communier avec mon environnement. Le luxe absolu ! Une renaissance.

Arrivée au Puy en Velay le 17 juin vers 19h30. Je m'élance vers Coubon à la sortie de la gare. Il fait beau. Les paysages sont superbes. Je croise un héron majestueux et je me pose pour le bivouac vers 21h. C'est magique d'être seule en pleine nature. Le lendemain, je rejoins le GR 3 qui longe les magnifiques et vertigineuses gorges de la Loire et je retrouve le GR 70 à Saint-Martin-de-Fugères. Le soir, je me pose dans un bois pour planter la tente et profiter du coucher de soleil.

Au réveil, j'ai deux tiques plantées dans le bas du dos. Je prends un café à Saint-Nicolas-du-Bouchet où je demande de l'aide aux deux garçons de café. Ils semblent avoir le coup de main, car ils parviennent à extraire les tiques en entier avec une pince à épiler. Merci les gars ! Je suis soulagée de repartir sans elles ! Je fais un détour par le lac du Bouchet pour me baigner. C'est extraordinaire. Le lac est parfaitement rond. L'eau est glaciale et transparente. Je rejoins ensuite Pradelles via Landos où je m'arrête à la pharmacie pour désinfecter mes piqûres. J'ai du mal à terminer l'étape. La route est longue et j'ai des ampoules à chaque pied. Mon sac est trop lourd. Ce soir, je dormirai dans un lit, mais ce n'est pas évident de trouver un gîte à Pradelles : il y a beaucoup de monde sur le chemin en cette saison. Les autres randonneurs, plus prévoyants que moi, ont réservé leurs hébergements à l'avance. Finalement, je serai seule dans une chambre de huit. Je dispose aussi d'une cuisine. C'est le luxe. Je n'ai pas mangé chaud depuis deux jours.

Après une nuit reposante, je prends le chemin de Langogne. Le centre historique est joli, mais le bruit des voitures me pousse à en partir très vite pour retrouver la quiétude du chemin. L'orage gronde au loin. Je dois faire une pause en forêt pour laisser passer la pluie. J'arrive à Luc par le château sous un ciel noir. L'ambiance est dantesque, apocalyptique. Je monte en haut du donjon. Puis, je descends dans le village pour m'installer à l'aire naturelle de camping. La pluie et l'orage me saisissent en plein montage de tente. Nous sommes quelques téméraires à camper là. Nous passons la soirée en mode réfugiés climatiques à l'abri dans les sanitaires. Ce n'est pas très glamour, mais au moins, nous sommes au sec. La conversation s'engage dans différentes langues entre marcheurs et cyclistes.

Le matin au réveil, le maire du village nous rend visite avec son chien. Il vient vider la boîte en libre-service pour le paiement de la nuit. Il nous conseille un itinéraire bis pour monter à l’abbaye, car le tracé du GR suit une ligne à haute tension. J'arrive à Notre-Dame-des-Neiges vers 13h. Je passe cinq minutes à la messe pour écouter chanter de vieux moines en robes blanches qui tiennent à peine debout. L'accueil n'ouvre qu'à 17h. Je décide de ne pas trop m'attarder et de continuer jusqu'à La Bastide-Puylaurent. J'y arrive à 14h, juste au moment où l'orage éclate. Je m'installe à l'hôtel.

Ce matin, j'enfourne le petit-déjeuner que l'on me sert à l'hôtel. Je suis la seule cliente. Quel plaisir ! Ça faisait longtemps que je n'avais pas savouré un vrai petit-déjeuner. J'arrive à Chasseradès vers 12h. Je pique-nique près du cimetière où il y a un robinet pour faire le plein d'eau. Les paysages sont magnifiques sur la montagne du Goulet, mais des coupes de bois m'obligent à faire un long détour en forêt. Le chemin est barré. Je prends une magnifique piste en balcon pour rejoindre Les Alpiers. Des genêts en fleurs recouvrent la montagne. C'est superbe. Je trouve un coin de bivouac dans un champ à l'abri des arbres et me laisse bercer par les cloches tintinnabulantes des vaches pour m'endormir.

Le lendemain, je m'arrête prendre un café à Le Bleymard en attendant le passage de la transhumance des moutons. C'est l'effervescence. Plus de 2500 moutons doivent arriver vers 10h30. On les voit dévaler les pentes de la montagne en face puis approcher du village, c'est comme une vague blanche ondulante. Je devance le troupeau quand je le vois arriver et je grimpe jusqu'au Mont Lozère. Il y a du monde tout le long du parcours à chaque embranchement pour canaliser le troupeau dans la bonne direction. C'est une vraie fête populaire. Le sommet n'est plus qu'un alignement de camping-cars. Un marché fermier occupe le reste de l'espace. J'attends l'arrivée des moutons qui sont retenus avant le col pour permettre aux politiciens locaux de terminer leurs discours sans se presser. Je reprends le chemin. La traversée du Mont Lozère est magnifique. On se croirait dans la steppe mongole. Vue à 360° au sommet du Finiels. Redescente avec des panoramas à couper le souffle. Il y a des chaos rocheux partout. Beaucoup d'activités agricoles. Difficile de trouver un coin calme pour poser la tente. Finalement, je me pose à l'écart du chemin, bien cachée, entre quelques pins et des buissons de genêts. Ciel étoilé sublime. La pleine lune illumine la nuit. On voit comme en plein jour. C'est beau, magique, vraiment impressionnant. Je me sens tellement bien, tellement à ma place dans ces moments de communion avec la nature.

Petit-déjeuner dans un café à Pont-de-Montvert. C'est un joli village que l'on quitte par un magnifique pont en pierre. Une montée bien raide mène ensuite à un plateau agricole. Puis, on suit une belle ligne de crête avec des vues à 360° jusqu'au col avant de redescendre sur Florac où l'on retrouve la civilisation, le bruit des voitures et la pollution. Il fait chaud, mon sac est lourd, je suis crevée. Je me pose pour deux nuits au camping au bord du Tarn.

Le lendemain, les températures montent inexorablement. Il fait 35°C. C'est la canicule. Je suis vraiment bien, au frais, dans mon kayak, au fond des gorges. Je m'arrête quand je veux pour me baigner. Les gorges sont sublimes. Des vautours planent dans les airs. La journée est magnifique. Tout comme cette échappée en solitaire sur ces magnifiques chemins de France amoureusement entretenus par des bénévoles à qui je souhaite rendre hommage. Merci à vous de nous permettre de marcher les yeux dans le bleu du ciel et le nez au vent sans trop se soucier de l'itinéraire. Juste besoin de suivre ces jolies traces blanches et rouges que vous avez - comme des petits poucets - semées sur notre parcours pour ne pas se perdre et pour profiter du paysage en toute insouciance.

> Sandrine Ker (75)

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