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Les Seychelles, mosaïque encore harmonieuse

< Les routards bienvenus aux Seychelles !

Nous voici dans l'archipel des 115 îles Seychelles éparpillées sur 1000 km, à deux heures des côtes africaines. Elles tirent leur nom de l'intendant des finances français Séchelles. Une délégation chinoise est accueillie sur le tarmac : la Chine a-t-elle repéré une autre escale pour ses "nouvelles routes de la soie" ? 

Agréable surprise : à la sortie de l'aéroport de la capitale sur l'île de Mahé, nous pouvons sauter dans un bus local surpeuplé qui fait le ramassage scolaire en cette fin d'après-midi. Une forte dame s'assoit près de nous avec sa petite fille adorable, bientôt assise sur les genoux de Patrick pour tout le trajet. Nous déchiffrons le délicieux créole dans le réglement du bus : "evite bwar, manze, anmenn ban gro sak"... Les noms délicieux des hameaux se suivent, Pointe Larue, Anse aux Pins, Mont-Plaisir, nous descendons à Pointe au Sel.

La destination est toujours considérée comme onéreuse et réservée aux lunes de miel. Autre agréable surprise en découvrant notre premier hébergement pour moins de 100 euros ! Un étage d'une maison dominant un grand jardin vert intense survolé par des chauve-souris diurnes avec comme horizon la côte Est, la mer bleue et les vagues qui se cassent sur le récif : notre royaume pour deux jours fait plus de 100 m2 sans compter la vaste terrasse et nos hôtes nous offrent l'apéro.

< Mahe-sud : auto stop à gogo et fangios

Nous grimpons jusqu'au fameux Jardin du Roy, premier lieu cultivé à la fin du 18ème siècle par les colons français. C'est un excellent résumé de la flore locale avec ses arbres tropicaux (canneliers, girofliers, muscadiers) sans oublier les fameux cocotiers de mer, appelés par les francophones coco-fesses, vu la forme suggestive des énormes noix rappelant les fesses ou les vulves féminines, ajout de poils compris. Leur commerce est désormais sérieusement réglementé. Au lieu des 2 kg en moyenne des noix de coco classiques, les coco-fesses peuvent peser de 20 à 25 kg. Gare à la chute finale ! Nous y cotoyons nos premières tortues, elles semblent apprécier que l'on gratte leur cou rugueux.

Ayant fait le choix de ne pas louer une voiture pour toute la durée du séjour, nous dépendons parfois des bus locaux et de la gentillesse des conducteurs. Pour la partie sud de Mahé, souvent le premier véhicule s'arrête. Les anses se suivent avec leurs noms poétiques : Royale, Forbans, Bougainville, Marie-Louise. Nous serons ainsi embarqués par des travailleurs en route vers un chantier, une Libanaise allant acheter de la bière pour sa mère, un villageois faisant un détour pour nous déposer à la fameuse Anse Intendance. Nous avons pris notre déjeuner à la roulotte, habitude locale pas chère consistant à se sustenter d'un plat "full mix" où plusieurs viandes recouvrent du riz avant de nous baigner en Robinsons à quelques dizaines de mètres du fast food local.

Le lendemain, option bus locaux conduits par des Fangios jusqu'au village paumé cul de sac de Port-Launay, porte d'entrée pour le parc marin homonyme.

< Mahe-nord : Victoria et farniente

Le Nord de l'île est beaucoup plus peuplé. Notre guest-house de luxe, le Sans-Souci, domine la capitale Victoria qui étend ses rues au cordeau, ses ports de commerce, de croisière (50 paquebots par an) et de pêche avec un arrivage de chalutiers flambant neufs. En toile de fond, à 40 km, les fameuses îles de Praslin et La Digue, généralement préférées par les voyageurs pressés ne disposant que d'une semaine. Nous sommes sur les contreforts du massif du Morne Seychellois, culminant à 900 m. Prudents, nous choisissons de grimper son petit frère, le Morne Blanc à seulement 650 m en empruntant un chemin raide, boueux et caillouteux, plein de racines noueuses. Malheureusement, le sommet reste désespérément dans le brouillard. En chemin, nous apercevons les plantations de thé qui ont du mal à survivre à la compétition mondiale. Ce soir, nos hôtes nous concoctent un dîner créole à partager à la table d'hôtes, la convivialité étant également au menu.

Nous sacrifions ensuite à la tradition locale de séjourner à Beauvallon, la station balnéaire prisée de Mahé. Au contraire des autres endroits visités, ici profusion d'hôtels de luxe et d'appartements en location. Sur la longue plage (3 km), outre les couchers de soleil noyant les îles proches, dont Silhouette, dans des camaieus de couleurs chaudes, le spectacle est omniprésent : familles partageant un barbecue, touristes grillant au soleil, défilés de femmes, fines ou rondelettes, en shorts courts. Seuls quelques yachts sont ancrés dans la longue baie. Nous discutons avec Brian de la Fontaine, gérant d'une petite pension, le Romance hôtel. Il nous raconte que son jeune fils de 5 ans a déjà été opéré 4 fois à coeur ouvert en Inde, au frais du gouvernement. On est loin de l'Afrique pauvre.

Par la route de Sans Souci, il faut affronter les bouchons matinaux pour passer de l'autre côté du petit col qui nous sépare de la capitale, Victoria, nom donné en l'honneur de la fameuse Impératrice.  La mini "Big Ben" installée quelques années après sa mort est le carrefour stratégique. Chaque communauté religieuse dispose de son église ou temple : catholique, protestant, musulman, indien, chinois. Pas de jaloux !

Le musée d'histoire nous rappelle les heures difficiles vécus par le pays, de l'esclavage à la naissance de la République le 29 juin 1976, renversée pour son premier anniversaire par un coup d'Etat. Le nouveau "président" est resté au pouvoir, avec quelques "élections", 26 ans, exilant son prédécesseur pendant 15 ans. La pluralité politique semble être à nouveau à l'ordre du jour.

Enfin, le jardin botanique nous offre ses chemins tortueux à parcourir dans une jungle de poche avec ses quelques coco-fesses. Le souci local de la protection de l'environnement a conduit les responsables à constituer une capsule-temps, dépositaire de la flore de 1994 à n'ouvrir qu'en 2044. Reviendrons-nous pour cet événement ? 

< Un petit goût de praline

A l'embarcadère, nous approuvons la consigne de protection de l'environnement : "Protez nou losean ... Pa zet salte dan lanmer". Tout compte fait, le créole est facile à comprendre, mais à l'écrit seulement. En quittant le port en hydroglisseur, impossible de ne pas remarquer l'île artificielle concentrant des dizaines d'hôtels et villas de luxe, ni les deux paquebots amarrés ou les thoniers rutilants pratiquant, paraît-il, une pêche très décriée consistant à concentrer les poissons sans discrimination, conduisant ainsi à beaucoup de déchets. Les quelques éoliennes nous souhaitent bon vent pour la courte croisière.

Praslin tire son nom de Gabriel de Choiseul, duc de Praslin et ministre de la marine à l'époque où les Français s'y sont établis. Les bagages sont déposés directement à la sortie du bateau, dans une  belle mêlée. Un taxi nous dépose sur les flancs de colline au Mango Lodge, tenu par Lesley, ses 4 chiens et ses 7 chats. De notre véranda, la vue est sublime sur l'Anse Volvert avec son camaieu de bleus, verts et jaune noyant les îlots satellite de Praslin, St Pierre et Cousine, entre autres.

Au contraire de la plupart des visiteurs, au lieu d'aller piquer une tête dans l'eau supposée délicieuse, nous nous enfonçons dans la jungle par le chemin Salazie. Le chemin se retrécit peu à peu et devient invisible. Nous sommes vite en nage, les feuilles nous griffent, seuls les tranchées dans la végétation et notre carte électronique nous donnent confiance. Arrivés au sommet, la descente vers l'Anse Possession sera beaucoup plus facile, guidée par un jeune indigène surpris à se baigner nu. Il nous cueille des cocos après notre bain de mer bien mérité. Comme sur beaucoup de plages, nous remarquons des algues envahissantes.

Nous sacrifions à la tradition touristique d'aller découvrir les îles proches. Coup de chance, nous sommes les seuls à débarquer au minuscule îlot St Pierre qui n'offrira ses beautés qu'à nous seuls, l'espace d'une heure : poissons de toutes couleurs, colonies d'oursins, divers bancs. Le paysage de rochers arrondis se découvre également sous l'eau transparente. L'île Cousine, par contre, est beaucoup plus fréquentée, l'attraction locale en étant les tortues... terrestres, au nombre de 100 environ. Par précaution, comme pour leurs cousines marines, les oeufs et les petits sont gardés en sécurité dans des enclos. La plage locale bordée de superbes rochers aux formes arrondis typiques des Seychelles est quasiment vide. Les autorités ont conçu un sentier longeant une mangrove, nurserie pour des bébés requins citron miniature de 10 cm de long. Adultes, ils iront chasser, généralement loin des côtes. C'est l'occasion de réhabiliter les requins, coupables d'attaques horribles mais dont le bilan mondial s'élève à 10 morts par an alors que d'autres animaux, plus petits, voire des virus, causent de plus nombreux décès.

Le lendemain, nous louons pour la première fois une voiture. Cette fois, nous rendons la pareille en embarquant des stoppeurs : un peintre en bâtiment qui garde la maison de son voisin français, un pêcheur unijambiste qui sort en mer tous les jours dont nous déclinons l'invitation à le rejoindre le lendemain matin et deux jeunes qui vont faire les courses familiales. Le bout de la route est occupé par l'hôtel golf Lemuria ouvert à la visite sur rendez-vous. Sylvaine raconte qu'elle vient prendre des renseignements pour des amis golfeurs et, miraculeusement, les portes s'ouvrent. Personne ne nous importune lorsque nous nous installons sur l'Anse Kerlan, négligée par les clients de l'hôtel qui préfèrent rester dans leurs luxueuses suites. La houle est assez forte, saison oblige. Seul Patrick se baigne.

La SIF (Seychelles Islands Foundation) a pour mission de protéger les forêts primaires et leurs flores et faune endémiques. Elle a ainsi créé la Vallée de Mai, sanctuaire pour le cocotier de mer, inscrite au Patrimoine de l'UNESCO. Certains ont même comparé la Vallée de Mai au jardin d'Eden ou à Jurassic Park !  On y voit des cocos-fesses femelles aux énormes noix pendant en grappes mais, plus discrets,  également des cocotiers mâles aux phallus énoooormes. De son côté, le Fond Ferdinand offre une alternative moins fréquentée pour arpenter une forêt primaire.

< La digue, la petite soeur

A 8 km de Praslin, cette île est encore plus petite, un confetti de 5 km de long sur 3 de large. Elle tire son nom du bateau d'un explorateur français. Où que le regard porte, d'autres îles ou des îlots. Après la pluie torrentielle, les rues du village de La Passe sont inondées de flaques de 5 à 10 cm de profondeur. Sans réservation, nous débarquons chez Madame Bibi, septuagénaire originale qui nous accueille dans son capharnaüm.

L'île est le royaume de la marche à pied et du vélo. Il y a très peu de véhicules à moteur, à part ceux de la police, des pompiers et des hôtels. Les transports en commun se faisaient en chars à boeufs, il en reste peu.

Le must de l'île est la plage Anse Source d'Argent, la bien-nommée car elle est payante, la seule du pays. Sans doute un moyen de limiter la foule désireuse d'admirer les rochers arrondis aux formes langoureuses, posés sur un sable blanc léger comme de la farine.  Les algues sont de la partie, témoignage du réchauffement de l'eau. La plupart des visiteurs négligent le petit parc qui y mène avec le superbe cimetière au bord du rivage, le minuscule chantier naval, la plantation de vanille à l'ombre des cocotiers et la villa où a été en partie tourné le film Emmanuelle....

Cerise sur la gâteau, une balade est indiquée jusqu'à la crête de l'île, le Nid d'Aigle, avec des pentes à 30%. A l'arrivée de cette bavante mi-goudron mi-jungle, le paysage est somptueux sur les îles environnantes, jusqu'à Mahé bien sûr, et se déguste loin des foules restées en bas sur les plages ou dans leurs hôtels chics. Le Nid d'aigle porte bien son nom.

Madame Bibi est en deuil, son oncle vient de décéder. Nous devons rapidement libérer la chambre pour accueillir la famille. Comme nous avions repéré une enseigne lumineuse chez sa voisine, nous en profitons pour nous offrir une séance de réflexologie riche d'enseignement sur notre état de santé. Il semble que la masseuse Shirley, qui a suivi des cours en Inde, est connue dans toute l'île pour ses bienfaits. Elle nous conseille d'autres séances de réflexologie, mais chinoise, et des cures de thé vert ou à la citronnelle. A suivre sans modération...

Nous sacrifions encore au grand tourisme en rejoignant un groupe pour une demi-journée de masque/tuba aux alentours des îles Grande Soeur, Petite Soeur et Félicité, cette dernière parfois fréquenté discrètement par Zizou qui y possède une grande maison sur les hauteurs.

Le soir, le petit port de La Passe s'anime avec les retours des visiteurs à la journée et les débarquements de marchandises. Le soleil se couche sur Praslin dans une explosion de couleurs chaudes.  

< Une mosaïque de peuples encore harmonieuse

Les 95 000 habitants se partagent seulement 450 km2 de terres émergées. Beaucoup de peuples les ont  convoitées ou visitées : Arabes, Portugais et Anglais. Elles ont servi de havre aux pirates. Les Français s'y installent au 18ème et développeront une colonie. En 1815, à la chute de Napoléon, les îles passent sous souveraineté anglaise puis obtiennent leur indépendance en 1976.

Le pays, grâce au tourisme développé depuis une trentaine d'années et à la pêche au thon pourtant si décriée, est le plus riche d'Afrique par habitant. Son développement depuis 250 ans a constitué une mosaïque ethnique à base d'Européens, d'Africains, d'Indiens, de Chinois et d'Arabes d'où ne ressort aucun conflit apparent, la bonne humeur permanente en étant le témoin.

Parcourir les îles principales permet de constater la conscience environnementale de la population. Les paysages sont préservés du bétonnage ayant sévi ailleurs.

Néanmoins, la démocratie chaotique, l'arrivée discrète mais inévitable des Chinois et les problèmes liés au réchauffement climatique (pêche industrielle, pollution aérienne) sont des facteurs pouvant déstabiliser cet équilibre harmonieux.

< Sylvaine Deforge et Patrick Kernen, (75) Novembre 2019

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