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Procida, une perle napolitaine

La baie de Naples est un endroit touristique majeur de l’Italie et Capri, Ischia, sont autant de noms qui font accourir les touristes du monde entier. Malgré tout il reste encore quelques trésors méconnus.

"Naples au baiser de feu" comme le chantait en 1956 Tino Rossi : "Capri, c'est fini" d'Hervé Vilard en 1965, des chansons populaires d'une autre époque, dont les titres sont cependant entrés dans la mémoire collective et rendent hommage à cette région explosant de beautés diverses, baignée par la mer tyrrhénienne.

Au cours de notre cheminement vers le haut de la colline du Romero dominant Naples, un arrêt s'impose à la pâtisserie Leopoldo. Une croustillante sfogliatella réjouit nos papilles. Cette spécialité de la Campanie, créée au 18ème siècle par les nonnes d'un couvent de la toute proche côte amalfitaine, se présente comme un petit cône en forme de coquille feuilletée, gonflée de ricotta parfumée et de menus fruits confits.

Nous arrivons au niveau du castel sant'Elmo où la vue embrasse toute la baie de Naples et son volcan mythique, le Vésuve (1281m) dont le cône occupe la caldeira d'un volcan plus ancien, le Somma (1132m). Si l'ensevelissement de Pompéi et Herculanum sous une pluie de cendres et de boue en l'an 79 est lointaine, l'éruption de 1944 a fait quelques victimes et perdure dans les esprits. Un observatoire analyse les données en continu et les autorités concernées ont préparé un scénario d'évacuation dont l'efficacité peut paraître problématique, dans une ville si peuplée, aux nombreuses voies étroites laissant peu d'échappatoires.

Nul doute que l'activité dans la région est significative. Il est étonnant d'apprendre qu'à Pozzuoli, (Pouzzoles) où nous sommes maintenant, à 9 km à l'ouest de Naples, le sol ne cesse de monter (2 m depuis 1970). Tout proche se trouve la solfatare des Campi Flegrei (Champs Phlégréens) dans la caldeira d'un super-volcan bien plus inquiétant que le Vésuve. La hausse de température de ses sources chaudes, boues et fumerolles fait redouter une activité explosive dévastatrice.

Le lendemain, nous prenons le bateau pour nous rendre à l'île d'Ischia dont le mont Époméo (788m), à 20 km de Pouzzoles fait partie de l'arc volcanique campanien. D'ailleurs, le port de Forio occupe un ancien cratère et l'île est une zone sensible du point de vue sismique. En août 2017 un séisme de magnitude 4, se produisant en pleine saison touristique, a fait des victimes et provoqué beaucoup de dégâts dans les vieilles maisons du 18ème siècle.

Mais rien ne transparait alors que nous nous installons à notre hôtel, dont le nom "Idéal" correspond bien à la réalité. Le lieu est paisible, loin de l'agitation du port, les pentes verdoyantes sont peu bâties, les sommets invitent à la promenade, les fleurs embellissent un vaste jardin où voisinent deux piscines, l'une remplit d'eau thermale, car Ischia attirent les touristes, certes, mais c'est surtout la capitale européenne de l'hydrothermalisme, avec plus de 300 établissements et 103 sources aux vertus curatives.

Ischia entre en concurrence dans le cœur des visiteurs avec l'île de Capri, plus petite, tellement sophistiquée, avec ses profusions de boutiques des grandes marques que l'on retrouve partout dans le monde et gâchée par le nombre de visiteurs d'un jour qui affluent, mais ne se dispersent par beaucoup plus loin que la Piazzetta, à l'arrivée haute du funiculaire et les rues commerçantes adjacentes. Le reste de l'île est bien-sûr d'une grande beauté, avec une côte plus sauvage, jalonnée de fortins défensifs du côté d'Anacapri. Ces fortins furent construits par les Britanniques près des tours de guet qui surveillaient l'arrivée des sarrasins, puis ils furent agrandis par les français. Une jolie balade en haut des falaises jusqu'au phare de Punta Arena nous les fait découvrir, tout en lisant les panneaux de maïolique qui commentent chaque construction.

Là s'exprime l'histoire tourmentée de l'île et de la région napolitaine, alternativement territoire français et britannique à l'époque napoléonienne.  Si Joseph, frère de Napoléon, arriva à Naples en tant que roi le 15 février 1806, il ne fallut pas plus de trois mois pour que les britanniques reprennent l'île. Mais Joachim Murat, succédant à Joseph Bonaparte repris les lieux par ruse en mai 1806 lors de la bataille d'Orico. La victoire de Capri n'est-elle pas gravée sur l'arc de triomphe de Paris ? Le général britannique Hudson Lowe dut déposer les armes, mais se rattrapa plus tard de cette humiliation. Gouverneur de l'île de Sainte Hélène à partir de 1816, il fut un geôlier d'une grande dureté envers Napoléon, empereur des français, et le resta de l'arrivée à la mort de celui-ci, en 1821.

Ischia, où nous allons rester plusieurs jours est tout autre chose. On s'y sent à l'aise, il y a de l'espace et tout autant de centres d'intérêts. Nous avons bien sûr suivi le chemin de randonnée qui mène au mont Époméo, pique-niqué près du sommet qui jaillit d'une coulée de lave blanche. A l'ouest de l'île, nous avons marché jusqu'au Castello Argonese, imposante forteresse, perchée à 113m sur sa presqu'île volcanique, nous avons apprécié la beauté des jardins en terrasses de la Mortella et ses plantes exotiques fleuries, visité la Villa Colombaia, maison perchée de Visconti et évoqué sa filmographie devant les photos exposées dans les pièces vides, trouvé sa tombe dans le parc environnant qui lui fait écrin. Nous avons respecté les prières des pèlerins à Bosco di Zaro, lieu d'apparition mariale.

Mais, rien n'a égalé pour moi en ce jour, alors que nous faisions escale avant le retour à Naples, la découverte de la petite île plus confidentielle de Procida. Dès le débarquement au port de Marina Grande, je suis "tombée en amour" avec la beauté simple, délicate, non ostentatoire des lieux. Les vacanciers sont bien là attablés face à la mer, mais c'est derrière eux qu'une douce magie s'exprime en une palette de couleurs pastel qui se côtoient sans se nuire. Ainsi, les marins, de retour au foyer après une campagne de pêche, pouvaient repérer chacun leur maison. Les balcons d'où cascadent nappes ou draps voisinent avec les ouvertures typiques en arc de cercle, les "vefio" qui gardent en été les escaliers extérieurs dans un berceau de fraîcheur. Sous un soleil compatissant de début juin, nous abordons l'escalier pentu conduisant vers le point le plus élevé de l'île qui culmine à 90 m, couronné d'un complexe fortifié englobant le vieux quartier de la Terra Murata (terre entourée de murs). En cours de chemin, nous retrouvons quelques particularités locales : panneaux de maïolique (faïence) aux thèmes religieux ou informatifs, tendres décorations fixées sur une grille annonçant une naissance ou une communion. La route émerge enfin en bordure de falaise, offrant une vision aérienne du port de pêche de Marina Corricella. Les maisons colorées, cubiques, enserrent la baie puis grimpent la colline jusqu'à l'église tutélaire vers laquelle ces peuples de la mer se tournent pour implorer la clémence des flots. Mais il faut penser à pique-niquer et nous continuons à monter et nous installons au pied de l'ensemble défensif. Ce ne sont encore que de hauts murs d'habitation percés de rares fenêtres, qui forment bouclier et dont l'austérité devaient inspirer la crainte, même aux assaillants les plus déterminés. Nous passons l'arche percée dans les remparts pour nous trouver dans la zone préservée de la Terra Murata, un lieu presque hors du temps. Une plateforme dévoile des ruines fièrement perchées sur la falaise qui plonge d'un à-pic vertigineux dans la mer, tandis qu'à l'opposé des volées d'escaliers parallèles grimpent sur les façades d'une vaste cour intérieure.

Le joyau de l'île est bien caché au fond d'une placette. Il s'agit de l'abbazia San Michele Arcangelo. Procida était une étape stratégique de la marine à voiles dès le Moyen Âge. C'était la première île qu'apercevaient les Barbares. Île plate à l'exception de la Terra Murata, elle était facilement abordable.

Selon la légende, le corsaire Barberousse, Grand Amiral de la flotte ottomane de Soliman le Magnifique, aborda l'île en 1535. La population terrifiée se réfugia dans l'église pour prier. C'est alors que l'archange Saint Michel apparut au-dessus de l'abbaye, lançant des éclairs de feu. Les corsaires, terrifiés à leur tour, s'enfuirent. Rien d'étonnant à ce que Saint Michel soit devenu le patron de l'île.

 Nous redescendons jusqu'au quai de la Marina Corricella. Un pêcheur ravaude ses filets, peu amène devant nos smartphones prêts à l'action - par respect, nous nous abstenons. Nous privilégions le tableau de carte postale que forment les maisons polychromes, doucement courbées vers la forteresse qui perd son aspect menaçant sous la caresse du soleil déclinant. Nous imaginons que le contact avec la baie fut tout autre pour le jeune Alphonse de Lamartine, âgé de 21 ans, lorsque son bateau, pris dans la tempête, fit naufrage au large de Procida, alors qu'il accomplissait son "Grand Tour". C'était aux XVIIIe siècle une découverte de plusieurs années qu'effectuaient des jeunes gens de l'aristocratie, après leurs études en humanités gréco-romaines, mais aussi prisée d'artistes de toutes spécialités, cherchant à s'enrichir au contact de nouveaux arts de vivre, de penser ou de créer. C'est auréolés de prestige qu'ils revenaient de leur voyage aventureux.

Par bonheur Lamartine fut sauvé par Andréa, un pêcheur qui le recueillit et l'hébergea chez lui. Notre poète romantique, envoyé à l'étranger par son père pour l'éloigner d'une amourette qu'il réprouvait, ne fut pas insensible à la beauté latine de Graziella, la jeune fille du pêcheur. Celle-ci ne le découragea pas. Il lui consacra son seul roman : "Graziella", paru en 1862. C'est un ouvrage ethnographique qui fait revivre le petit peuple des villages italiens au 19ème siècle, en mêlant les notions sœurs de Nature, d'Amour et de Dieu.

Il nous reste un regret, celui de manquer la fête de la mer, "la Sagra del mare" qui a lieu en juillet et se termine par l'élection de la reine de beauté, la Graziella, vêtue de son costume traditionnel somptueux. Ainsi, le souvenir de Lamartine reste à jamais attaché à la petite île. Cette jolie jeune fille, ne l'avons-nous pas découverte, portant ses cruches à eau sur une maïolique apposée sur la fonte l'Aurea près de laquelle nous avons pique-niqué à Anacapri ? Ainsi, nous repartons joyeux, en musique, avec quelques mots du poète :

" la jeune fille, sollicitée par nous, se levait modestement pour danser la tarentelle aux sons du tambourin frappé par son frère … "

Micheline Ney

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