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Etincelles du Chili

Remontant la façade ouest des Andes depuis le Cap Horn, après plusieurs mois dans les glaciers, les montagnes, les paysages désolés de Patagonie, les fjords, les îles et les volcans, nous arrivons dans le cœur battant du Chili autour des villes de Santiago et Valparaiso. Quel pays étonnant que cette bande de terre de plus de 4000 km de long ne dépassant pas 200 km en largeur, dont l’essentiel de la population est bloquée entre la Patagonie, le désert d’Atacama et la chaîne de l’Aconcagua, face à l’océan Pacifique !

Pour les gens de notre génération, impossible de ne pas associer Santiago-du-Chili au coup d’État de Pinochet, et au suicide du Président de la République Salvador Allende dans le palais de la Moneda en 1973, mettant fin à la tentative de « voie chilienne vers le socialisme » ; et douze jours plus tard, à l’assassinat de Pablo Neruda, le grand écrivain prix Nobel de littérature, par la junte militaire qui allait gouverner le Chili dans la terreur durant quinze ans.

La notoriété de Pablo Neruda, soutien de Salvador Allende, membre du Parti Communiste, ambassadeur en France, chantre de la solidarité humaine, était trop gênante pour les nouveaux maîtres du Chili. Son « Canto General », œuvre poétique monumentale, dressait un portrait épique de l’Amérique latine, évoquant les premiers habitants du continent, l’arrivée des conquistadores, l’exploitation des Amérindiens, la naissance de la classe ouvrière, des premiers combats politiques et syndicaux, de l’unité populaire face à la répression du pouvoir et des exploiteurs… une voix à faire taire rapidement !

Si ses poèmes comme le « Canto General » ou «  Les vers du capitaine » immortalisent Pablo Neruda pour ses lecteurs, pour nous voyageurs, il a également laissé trois empreintes magnifiques dans le paysage tempéré de ce Chili central, trois maisons à son image : trois refuges enchantés, posés sur des sites merveilleux offrant le spectacle du port ou du déferlement des vagues puissantes du Pacifique, dans des collines où accrocher des dénivelés pleins de surprises et des jardins ravissants, conçus sur des plans fantaisistes, dictés par l'envie d'étonner les nombreux amis royalement reçus, de vivre heureux avec la femme aimée et d'écrire entouré des ambiances et des objets choisis...

… Des objets ! Insolites, chargés d’histoire réelle ou inventée, multipliés et enrichis par la collection ou au contraire mis en valeur par leur unicité : verres colorés (pour donner du goût à l'eau...) instruments de marine, figures de proue, étriers, papillons, coquillages… Des œuvres d'art, des mosaïques de son amie Marie Martner, œuvres du designer Fornassetti, des peintures chinoises...

De la couleur, des matériaux chaleureux, chinés, bricolés, rien de somptueux ou prétentieux. La richesse est dans les accords, les oppositions, les trouvailles surprenantes, et peut-être surtout dans la mémoire du poète qui survit à l'oubli comme elle a survécu à la dictature...

Après la découverte de la maison de Santiago, dénommée par Pablo Neruda la Chascona (qui signifie « la femme aux cheveux emmêlés »), en référence aux cheveux roux et indociles de Matilde Urrutia, la femme de sa vie, la poésie, l’inventivité et la générosité qui émanent de cette habitation nous ont irrésistiblement amenés à faire le pèlerinage jusqu’aux deux autres : la casa de Isla Negra, la plus belle, dans le jardin de laquelle sont enterrés les deux amants face au Pacifique, et enfin, surplombant les pentes, le port et la mer, la Sebastiana à Valparaiso !

Valparaiso ! Un nom dont la simple sonorité nous fait rêver ! Qui évoque tous ces marins, ces Cap-Horniers pour qui ce port était le réconfort après des mois passés dans des mers infernales. Qui était l’escale obligée des navires joignant l’Atlantique au Pacifique par le détroit de Magellan jusqu’au début du XXe siècle ; dont le déclin s’amorça avec le percement du canal de Panama et s’amplifie maintenant avec la montée en puissance vertigineuse des échanges commerciaux entre l’Asie et le continent américain ; et que la construction de l’énorme port de Chancay par les Chinois dans le nord du Pérou achèvera vraisemblablement de classer parmi les merveilleux souvenirs de la marine marchande.

L’immense amphithéâtre de « cerros » (collines) abritant une nuée de constructions colorées dans une organisation approximative entoure le port de Valparaiso ouvert sur le Pacifique. La quasi-totalité des 300 000 habitants vivent dans ces cerros desservis par des ruelles et de vertigineux funiculaires. Cette ville au passé illustre est aujourd’hui pauvre, et certaines des collines ont des allures de bidonvilles. Ceci, ajouté à l’ambiance mystérieuse et inquiétante des rues des anciens bas-fonds des quartiers du port contribue à donner à Valparaiso une réputation de dangerosité. Et pourtant, quel charme dégage cette ville ! Avec ses multiples couleurs, ses maisons plantées au mépris de toute rationalité urbaine, loin des routes goudronnées, des services publics et des réseaux d’eau ou d’électricité, son port encore vivant (pour quelque temps !), les nuances infinies de la mer omniprésente, son street art joyeux et inventif, ses perspectives changeantes à chaque pas, ses interminables marches pour rejoindre les quartiers…

Parachutés sur la terrasse d'un hôtel dont les chambres sont sous la rue, face à la mer, nous découvrons l'immense baie de ce port dont la grandeur passée est encore visible sous les façades décaties ! Pour aborder les dédales de ses ruelles et escaliers, nous suivons les recommandations des touristes aussi bien que des Chiliens : ne pas aller n'importe où, et surtout pas tout seuls. Nous rejoignons donc une visite organisée par de jeunes étudiants chiliens, amoureux de leur ville et soucieux de nous en éviter les désagréments. Nous nous risquons ensuite seuls de jour dans les quartiers les plus sûrs, du bas du port jusque dans les pentes des cerros, d'escaliers en funiculaires, de randonnée en escalade…

En cette fin d'après-midi, je me bats avec le clavier de l'ordinateur de l'hôtel Fauna pour rédiger un article du blog. Tout-à-coup l'écran devient tout noir ! La réceptionniste peste au même moment : elle vient de perdre toutes les données de son client. Avec beaucoup de patience, elle m'explique que le réseau électrique est coupé dans toute la ville : un incendie s'est déclaré dans les hauteurs des cerros, qui a dû endommager les câbles. De la terrasse de l'hôtel, nous découvrons qu’une épaisse fumée a en effet envahi tout le ciel, magnifiquement ensoleillé une heure auparavant.

Quelques instants plus tard, la nuit est tombée, le courant électrique est revenu après avoir été coupé encore deux fois. Nous décidons de descendre au port chercher un distributeur de billets et dîner. Dix-huit banques plus tard, il faut nous rendre à l'évidence : à Valparaiso, un soir, et ce soir-là particulièrement, nous ne trouverons pas de cash. Pas de cash, pas de dîner, sauf si un restaurant accepte notre carte Visa. Nous nous asseyons dans un bar où la musique bat son plein et, avant de commander notre pisco sour, demandons d'un air assuré : "se puede pagar con la tarjeta ? " "La maquina no fonctiona ahora, pero dentro de una hora quizas", répond le serveur pour être arrangeant. Il ne nous reste plus qu'à battre en retraite et à rentrer à l'hôtel. Au moment où nous arrivons au pied du funiculaire qui doit nous y monter, tout devient noir : il fait une nuit profonde, le courant a sauté, la lune est totalement cachée par le nuage de fumée de l'incendie. La dame du funiculaire me tend brutalement son téléphone portable : je l'éclaire pendant qu'elle ferme à double tour la porte d'accès. On ne voit pas à 50 cm. Je lui demande où se situe l'escalier qui permet de monter à la rue de l'hôtel ; malgré l'épaisse nuit qui nous entoure je la vois blêmir et bégayer : "no ! no escaliera ! no por la noche ! no por la noche sin luz !"

Nous remontons donc la grand’rue, au milieu de dizaines de lucioles, chacun essayant d'éclairer les innombrables dénivelés de trottoir, les nids de poules et les travaux en cours avec son téléphone ou une petite torche. D'un seul coup le mystère d'une ville comme Valparaiso, déjà impressionnant la journée, devient écrasant dans la nuit absolue, où chaque recoin, chaque marche, chaque renfoncement de porte prend des allures d'embuscades. Les sirènes de pompiers allant de manière désordonnée d'un bout de la ville à l'autre, ajoutent de l'angoisse à cette ambiance inhabituelle.

A l'hôtel, la machine à carte Visa fonctionne. Sur la terrasse où nous dînons, nous pouvons voir l'avancée des flammes de l'incendie gagnant toujours du terrain et les retombées des cendres qui s’intensifient. Le lendemain matin, le veilleur de l'hôtel nous raconte qu'il n'a jamais vu une catastrophe pareille à Valpo et que deux salariés de l’établissement ont tout perdu dans l’embrasement de leur maison. Après avoir quitté la ville, nous apprendrons que ce gigantesque incendie avec un bilan de 15 morts, mettra 10 jours à être maîtrisé, après que 10 000 personnes ont été évacuées et 2 900 logements détruits. Michelle Bachelet, présidente du Chili revenu socialiste à ce moment-là, confirmera qu’il s’agit « du pire cas d’incendie survenu à Valparaiso ».

Philippe Gouyou Beauchamps (69)

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