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Voyage ethnologique : le tourisme qui tue.

Les questions, parfois inconscientes, de quelques voyageurs peuvent soulever le problème de la destruction au niveau culturel d'ethnies à cause d'un tourisme confronté à des populations dites "primitives" dans certains coins reculés de la planète.
"Tout le monde le fait" m'a répondu mon interlocuteur qui m'interrogeait sur les populations Nilotiques et Omotiques du sud de l'Éthiopie alors que je lui déconseillais un périple dans cette région. Voilà bien une réponse qu'on ne devrait pas entendre d'un vrai voyageur à qui je n'ai pas osé rappeler la légende des moutons de Panurge.
Avant d'entendre cette conclusion contestable, j'avais cherché à savoir si mon interlocuteur voyageait en organisé ou en individuel.
Je commençai par parler des premiers : "Il y a les voyages en groupe que proposent certaines agences françaises ou locales qui disent faire du tourisme ethnologique".
En quoi consiste ce type de tourisme dans cette région du sud-ouest éthiopien ? Comme le précisait une de ces agences parisiennes "c'est un voyage d'aventure et ethnologique de deux semaines. Vous faites 3 000 km en voiture confortable et un tel voyage ne demande pas d'effort". Je n'ai pas de peine, pour les avoir vues, à imaginer les 4 x 4 Toyota Landcruiser, parfois climatisées, transportant les tentes avec moustiquaire, le cuisinier et l'accompagnateur qui vont conduire dans ces "bulles" des gens souvent incapables de voyager autrement que "sans effort".
Peut-on parler de voyage et de contact pour ces Tintins en Afrique qui ne savent ni marcher ni communiquer, qui sont incapables de s'adapter un minimum pour survivre ?
On est à mille lieues dans de tels voyages de penser à la protection de ces populations. On est à mille lieues de personnes qui, comme Jean Malaurie au travers de livres, font parler les ombres et prennent la défense des minorités.
La motivation de ces voyageurs pour aller voir des populations dites primitives est souvent peu claire voire ambigüe. Le sud Soudan est en guerre civile et connaît un génocide dont personne ne parle depuis des années. Le sud ouest éthiopien est devenu depuis le départ de Mengistu un de ces zoos humains que les agences de voyages vendent sans scrupule à des touristes argentés et voyeurs. C'était en fait, derrière sa casquette de globe-trotter, le cas de mon interlocuteur.
On se rend facilement compte de l'aspect néfaste de ces publicités souvent magnifiques qui ne font qu'inciter plus de photographes ou cinéastes - amateurs ou non - et voyageurs à venir à leur tour faire des reportages.
Commentaires de plusieurs voyageurs français passant dans les villages karos du sud de l'Éthiopie visités par le Narcisse de l'aventure et son équipe début 1996 : "plusieurs millions de francs permettent de laisser beaucoup d'argent aux Karos pour qu'ils se prêtent au jeu des caméras. Cela coupe court aux traditionnels et longs palabres indispensables à toute entente et nécessaires à toute rencontre, notamment lorsque des étrangers se présentent à l'entrée d'un village."
Posons-nous la question en essayant d'être objectif : "Qu'en retirent les voyageurs et qu'en retirent les autochtones?".
Les voyageurs en rapportent au mieux des photos, (qui n'ont aucune valeur dans les agences d'illustrations), des films vidéo amateur (qui non montés à 90 % ennuieront par leurs longueurs les proches, sans parler de leur effacement au fil des ans), des expériences personnelles à raconter, le plus souvent pour se moquer ou s'apitoyer ("Les pauvres, la veille de notre passage, dans l'Omo, un crocodile a mangé un enfant" nous a raconté le guide), voire parler de choses qu'on n'a pas vues mais que l'accompagnateur raconte pour faire vibrer ses clients ("Là où on a fait notre camp, ils (?) venaient de castrer un ennemi car il y avait une guerre tribale") (entendu à l'aéroport d'Addis Abeba).
Mais qu'en retirent les autochtones ? Des inconvénients, des miettes, des microbes ou de mauvaises habitudes qui vont provoquer leur acculturation voire leur anéantissement.
Ces voyages dits ethnologiques sont organisés à partir de nos pays riches, relayés sur place par des agences locales, généralement de la capitale du pays. Celles-ci ont décelé un marché et exploitent moyennant finances les instincts voyeurs de nombre de nos contemporains sans que les populations dites primitives aient leur mot à dire.
L'argent de la mendicité devient vite alors pour les autochtones l'unique objectif et consolation du passage des Blancs. Dans le sud éthiopien et dans la vallée de l'Omo, dès que vous mettez l'oeil dans votre viseur vous entendez maintenant "Farandji give me one dollar" .
Ce genre de contact fait non seulement du voyageur un voyeur, mais transforme rapidement l'autochtone en mendiant !
Les peuplades qui à travers le monde ont disparu ces derniers siècles sont nombreuses. Faudra-t'il ajouter le tourisme comme cause de nouvelles disparitions ?
Citons pour mémoire les populations exterminées par les conquistadores espagnols, victimes autant de leur microbes que de leurs armes, les aborigènes de Tasmanie, les Indiens d'Amazonie dénoncés par Lucien Bodard et d'autres dont les massacres continuent. Dans "Nouvelles menaces sur les Indiens" (Courrier International du 14 juin 1995) parmi les menaces soulignées : maladies, déculturation, tourisme, racisme, chômage, construction de routes, manoeuvres militaires, sectes religieuses, chercheur d'or, guérilla, trafic de drogue, invasion des terres, déboisements, industries extractives, génocide, pauvreté, etc.
La liste en est dramatiquement longue.
Pour donner une image forte capable de faire réfléchir nos amis globe-trotters sur ce thème, "l'arrivée de touristes, porteurs potentiels de maladies contre lesquelles les autochtones ne sont pas immunisés est aussi grave que ces cadeaux empoisonnés ou infectés que, il n'y a pas si longtemps - et peut-être encore aujourd'hui - certains grands propriétaires brésiliens larguaient de leurs petits avions aux Indiens amazoniens pour les exterminer".
J'aimerais inciter ces voyageurs à voir et revoir avant de partir le célèbre télé-film "La controverse de Valladolid" avec le remarquable texte de J-C Carrère sur l'attitude de l'église qui s'interrogeait pour savoir si les indiens pouvaient être considérés comme humains. C'est une question toujours d'actualité tant les rapports touristes/autochtones chez des populations dites primitives sont ambigus.
Mais le problème le plus important reste celui de la maladie véhiculée par le touriste et du paludisme en particulier. Cette maladie connaît une très forte recrudescence dans le monde. Deux millions de personnes, principalement en Afrique en meurent chaque année. Dans bien des endroits, le paludisme a évolué et est devenu résistant à nos plus récents médicaments, à cause justement, paradoxe de l'histoire, du passage des touristes prenant un traitement anti-paludéen, lui-même parfois dangereux pour les touristes.
Et comment pourront être soignés et sauvés ceux qui aujourd'hui déjà n'ont pas les moyens de s'acheter les médicaments de nos trusts pharmaceutiques ? Les cyniques parleront de sélection naturelle !
Chaque année, le paludisme fait disparaître plusieurs milliers de personnes en Éthiopie...
On peut même imaginer qu'au moment où les touristes sont douillettement installés à regarder les photos de leur "aventure" des autochtones rencontrés meurent faute de médicaments appropriés.
Le fait d'avoir payé son voyage ne justifie pas tout et une telle inconscience est tout simplement criminelle.
Ma conclusion et mon point de vue : si vous n'êtes pas capable vous-même de vous faire indigène, FICHEZ-LEUR LA PAIX !
- R. -

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