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jeudi, 07 mai 2020 14:32

L’envol maladroit d’une paonne

Un atterrissage en urgence ou le rapatriement d’une Française en Inde.

Ce qui peut nous rendre dingue d’aventures, qu’elles soient à l’autre bout du monde ou à 10 km de chez soi, c’est le processus d’élaboration pré-voyage et son rendu vécu sur le terrain, à adapter avec soins. Six mois déjà que je me bourre le crâne avec ce voyage de 3 mois et demi dans 3 pays d’Asie où j’avais déjà posé le pied 3 ans et demi auparavant : l’Inde, le Népal et la Corée du Sud. Fière de moi, j’avais tracé mon circuit dans le Nord de l’Inde pour cibler les différents spots touristiques -ou non, tout en m’octroyant une marge de manoeuvre pour se laisser guider sur place.

Je m’étais aussi engagée dans un projet personnel : franchir le pas pour partager des aventures et ce que l’on en ressent. Ce n’est pas chose aisée lorque l’on souhaite que celles-ci deviennent plus accessibles, procurent des sensations d’ailleurs et qu’elles mettent en lumière les multiples visages bienveillants rencontrés. Terroirs de Merlusse est né! (merlusse.net)

Première visite dans une des mégalopoles les plus oppressantes et les plus chaotiques du Monde : New Delhi. Il y a toujours un temps d’acclimatation cérébral avant d’embrasser l’atmosphère d’un nouvel environnement. Et c’est encore plus vrai lors de la perte maladroite de ton smartphone- élément indispensable en Asie de nos jours- puis, de l’annulation du séjour de deux semaines dans une école où tu voulais t’engager. Tu maintiendras ton expédition en bus de nuit Delhi-Dehradun et tu seras heureuse de faire la connaissance de deux pépites de jeunesse, Abhishek et Dipanshu. Une jeunesse ouverte aux nouvelles technologies, plongée dans ce secteur professionnel prometteur; celle pour qui Internet a complètement destructuré et revisité leurs codes indiens. De 5 ans tes cadets et issus d’une génération asiatique hyper-connectée, tu accuseras le coup d’être l’historique Européenne en quête de déconnection.

La porte du cimetière chrétien s’est ouverte sur un décor léger de pierres tombales enfouies dans la verdure. Les aboiements de chiens qui commencent à se rassembler autour de toi, te renvoient à tes réflexions : tu seras toujours entourée, plus ou moins hostilement, sur ces terres surpeuplées.

Le sud de Delhi t’accueillera avec plus de douceur que la version précédente de Paharganj, même si au cours de ta visite à Sanjay Van, un parc désert de fraîcheur forestière, les policiers t’expliqueront qu’il n’est pas prudent de faire une pause sur un banc de plus de 15 min sous peine de se faire égorger!

J’entends au loin des échos du coronavirus. Mes poumons absorbent les particules fines de la pollution faisant partie intégrante du tableau desi.

Changement de plan : la route pour aller te perdre chez un hôte direction Himachal Pradesh te sera bloquée. Jaipur te semble une destination fiable pour rester une dizaine de jours. Il est vrai que  c’est encore une ville qui dépassera le million d’habitants sans problème – 3 millions d’habitants- mais les richesses de la capitale rose du Rajasthan conteront les méfaits et les exploits des Rajputs. Les couleurs y seront resplendissantes, vives et chatoyantes : les vêtements scintillants glisseront sur les murs teintés du mélange terre battue orangée et sable rosé; des pointes de blanc y amèneront du relief ainsi que les piles de biscottes dorées, luisant au soleil ardent. Des noms défileront dans l’hoztel Jaipur, régi par Sid et Aimy. Egon et Martin s’étaient rencontrés en route de leur roadtrip d’un an et, avec eux, tu découvriras la cité et son coeur historique bordé de dentelles bleues et jaunes infranchissables. C’est avec un groupe d’anglophones que tu mangeras dans un restaurant ‘fancy’ d’un rooftop. Larissa et Georges seront ceux avec qui tu passeras ton début de confinement, tes moments d’indécision et tes dernières heures d’oiseau, libre de se déplacer.

Chaque voyageur se positionne à l’heure de la psychose suite à la pandémie qui touche durement l’Europe; des messages affluent via les réseaux sociaux et les discussions entre voyageurs ne cessent de tourner en rond, puis se dispersent sur l’attitude à adopter face à une situation inconnue. Je voudrais juste me déconnecter pour un jour encore, avant de sombrer dans le tsunami de deux semaines d’écrasantes informations qui s’abattent comme des vagues dévastatrices.

Réveillée à l’heure du lever du soleil, tu cherchais à aller au fort de Nahargarh à pied. Tu auras encore sous-estimé les distances indiquées par la géolocalisation et la réalité du terrain. Des entrelacs de ruelles formeront une barrière de protection de l’accès secret et alternatif à la route touristique. Ces peintures vivantes du quotidien t’apporteront une facette théâtrale des matinales de Jaipur. Vue d’en bas, la forteresse semble inaccessible surtout lorsque tu te confronteras à la masse beige rocailleuse d’un pan de monts Aravalli, chaîne qui traverse le Rajasthan. Le soleil est déjà haut dans le ciel à 9h30 : on reviendra pour l’ascension de ce joyau défensif, qui brillera aux premiers ou derniers rayons du soleil, la meilleure lumière recherchée par les photographes. Tu t’étais quand même déplacée au nord-est de la ville pour t’élever un peu en altitude donc, tu profiteras de Shri Garh Ganesh Ji Temple pour admirer le panorama sur l’étendue urbaine, le Gaitor ki chetriyan qui n’était pas indiqué dans le guide de Jaipur trouvé à l’hostel et, sur la partie sauvage broussailleuse et poussièreuse emmenant les yeux vers la fameuse Amber, capitale de l’ancien Kachwaha.

C’est à partir de ce moment-là que l’engrenage du piège Covid-19 s’enclenche. Tous les jours, je compte le nombre de pays touchés par le virus, on me transfère les décisions européennes et françaises, je compte le nombre de pays fermant leurs frontières, on me demande dans quelle situation je suis : je déguste le plat indien végétarien préparé par Sid et je choisis ma destination avant le ‘test’ du verrouillage complet du pays prévu le dimanche 22 mars. Petite précision : j’ai dû éplucher une centaine de circuits possibles depuis mon arrivée en Inde jusqu’au moment où je me suis ‘fait confiner’ dans l’hôtel de l’Aerocity à Delhi (étape qui arrive bientôt dans le récit). L’hoztel Jaipur a fermé ses portes après mon départ, la mission vol express du samedi soir vers Hyderabad commence : le secteur du tourisme va subir un sacré coup économique….

Le vol détresse pour Hyderabad était une sorte d’appel à la rescousse; un lâcher-prise de la situation que tu auras voulu partager avec une âme réconfortante, celle qui connaîtrait le terrain dans la ville la plus connectée de l’Inde. Mais ce ne serait sans compter sur la paranoïa de certains, envers les étrangers, qui seraient les premiers vecteurs du virus! Aucune photo ne sera prise à Hyderabad car les sorties dérobées hors de l’étage 23, étage emboîté dans un géant étiré sur 30 paliers, se résumeront à des balades silencieuses et nocturnes en ‘scootie’. Un air d’antan, où les écrivains comme Emile Zola, décrivaient les multiples détails de la transformation de Paris, ou bien des explorateurs comme Alexandra David-Néel, arpentaient les moindres recoins d’un culte : plus tard, il faudra se rappeler l’ambiance fantomatiquement apaisante des grands axes lisses d’une citadelle où coexistent hindous et musulmans. Au bord d’un des plus grands lacs artificiels de l’Inde, Hussein Sagar, tu voudras traverser cette route immense, vidée de sa substance bruyante et dégénérée d’automobiles, pour échapper aux odeurs d’eutrophisation. Au centre, debout, une statue éclairée de Bouddha a été érigée. Dans deux jours, les vols internes seront supprimés : le pays en entier sera bloqué de peur d’une hécatombe sanitaire. Et pourtant, les chiffres des études scientifiques prouvent que la pérennité de la vie sur la planète bleue ne sera pas liée à cette mini-crise mais plutôt à la catastrophe future de la gestion des ressources naturelles, des impacts du changement climatique et du contrôle de la prolifération humaine. Réflexion omniprésente au cours de voyages asiatiques.

L’heure du confinement a sonné! Abhishek t’emmènera à l’aéroport après bien des négociations avec la police, ses colocataires et ses collègues, afin de mesurer l’ampleur des risques à prendre pour aider une Européenne à retrouver les portes de son pays - même si celui-ci est au plus mal. L’ambassade aura donné comme point de chute Delhi. Masque, OK. Température, CHECK par les militaires. Tampon sur le bras, HEIN? Si oui, il indiquera que tu auras été identifiée comme porteuse du coronavirus…. Gel hydroalcoolique. Présent dans tout l’aéroport. Le byriani commandé, plat prisé d’Hyderabad, apportera une douceur finale à cette escapade sudiste.

J’ai la chance d’avoir pris la décision d’attendre la suite dans un hôtel tout confort, qui ne me jettera pas dehors un bon matin, mais mon budget ‘confinement’ n’est pas encore défini : l’ambassade de France s’apprêtera à recueillir autour de Delhi, près de 500 personnes avant d’assurer un vol de rapatriement. 6 jours et 7 nuits, dont la dernière dans l’avion, ce sera le temps imparti à s’occuper dans l’hôtel. Cloîtrée dans ta chambre, tu sentiras approcher la Solitude, l’ombre des Français derrière l’Intimité chérie, mais aussi l’ombre de tous ceux qui ferment leurs portes empêchant l’imprégnation dans le paysage local.  En y repensant, je n’ai pas eu l’occasion de visiter les endroits photogéniques des alentours de Jaipur, ni de Delhi; j’ai ‘juste’ vécu authentiquement, en m’inspirant des quelques leçons tirées du The Alchemist (P. Coelho), donné par Georges.

Il est temps d’aller explorer les moindres recoins de l’hôtel! Dans le couloir du 3ème étage, tu tomberas sur Marine et Anthony, couple avec lequel tu t’aventureras dans les ruelles du quartier commerçant, pour un ravitaillement en produits frais. Tu rencontreras beaucoup d’étrangers errants, comparant les possibilités d’hébergement aux alentours : tu admettras que le personnel souriant de l’hôtel se démèneront pour accueillir respectablement les touristes en vadrouille, lui-même n’ayant eu la possibilité de sortir de l’enceinte du bâtiment pendant plusieurs jours. Dans la chambre d’en face, tu rencontreras deux infirmiers Jean-Michel et Emmanuelle, qui s’indigneront de la situation hospitalière française. Les 3 mois de congés sans solde, acquis par leur acharnement à la tâche des soins, aura tourné court : au bout de 3 semaines, ils se sont retrouvés à la case départ Delhi.

Cela fait 3 jours que la routine s’installe et tu es engluée dans les messages chaleureux reçus. La sortie à la supérette du coin devient une aventure épique étant donné que, désormais, les militaires surveillent nos mouvements : une sorte de protection rapprochée…. La supérette n’ouvre que pendant un certain temps et parfois, ferme ses portes devant les clients en attente en file indienne, séparés de 2m chacun – clients notamment nommés Jean-Mi et Manu, qui sont dans les starting-blocks et qui deviennent enragés à leur entrée dans la caverne d’Ali Baba. Tu sentiras une dernière fois ces odeurs chaudes, alléchantes d’épices, enivrant ton palais des 1000 couleurs avec une commande de ‘matar paneer, paratha, dal makhani’ assaisonnée de ‘curd’ et de ‘kayi chutney’. Le piment contenu dans ce dernier te montrera que ton pouvoir d’adaptation a été meilleur que ton premier voyage en Asie et qu’en 1 mois, tu as su dominer les effets d’une épice si corsée et intense.

Mes 4 acolytes et moi-même tournont à l’autodérision de notre situation et concernant ce chaos mondial : notre avion de rapatriement est prévu le mardi 31 mars à 1h du matin. Les chiffres indiquaient que 2000 français étaient encore en Inde après la fermeture des frontières, éparpillés comme des pépites de chocolat dans une pâte à brioche.

< Amandine Ladrille (69)

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