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jeudi, 27 novembre 2014 12:33

Quelque part au sud de la Chine

Chronique journalière d’un long voyage à pied.

Hier soir, un peu avant la tombée de la nuit, en approchant d'un hameau, une voix provenant d'une maison au toit recourbé façon chinoise nous interpelle, un homme à la peau mate se plante devant nous.

Au début timide, il sourit beaucoup et, persuadé que nous ne pouvons pas parler mandarin, il se cache derrière sa langue pour ne pas ¨perdre la face¨, un sentiment propre à l'Asie que l'occident ne comprendra jamais véritablement. Puis il découvre qu'il peut s'exprimer et comprendre ce que l'on raconte.

"Tiens, un étranger qui parle chinois !" se dit-il agréablement surpris, tout en nous tendant une cigarette. Tous les hommes fument ici. Alors, tout en mimant le geste de mains tenant des baguettes et mangeant dans un récipient, il nous invite à dîner chez lui. C'est pourquoi nous nous retrouvons assis chez lui ce matin dans la cour, les jambes pleines de picotements dus à ces maudits tabourets chinois. De toutes petites chaises en bois dur inconfortables, parfois à peine plus hautes qu'une marche d'escalier. Il n'est déjà plus si tôt et, avant de repartir sur la route, nous finissons munis de nos baguettes un second bol de riz que notre hôte nous a servi.

Nous nous étions déjà dit toutes les choses du monde la veille, alors nous mangions en silence.

La fraîcheur du matin se dissipe déjà , et tous ensemble, nous piochons dans les assiettes que sa femme, toujours la femme, a cuisiné pour notre petit groupe de voyageurs. De gros morceaux de porc, seulement le gras, sans sa viande, viennent accompagner nos petits grains blancs. La soupe d'une plante verte rappelant vaguement les épinards sera sûrement notre seul plat de légumes de la journée, nous le savons et c'est pourquoi chacun d'entre nous se sert de grandes feuilles qu'il engloutit avec un ou deux morceaux de racine pimentée, un met que l'on trouve sur de nombreuses tables chinoises.

Lui comme nous sommes désormais un peu avare en conversation, les effets de l'alcool de maïs bu hier soir se sont évaporés, les gorges sont encore imprégnées par les nombreuses cigarettes que notre hôte nous a offertes, et puis quelque-part : nous avons aussi beaucoup parlé. Alors, un dernier verre d'eau brûlante où baignent quelques feuilles de thé vert et nous serons tous prêts à continuer.

Tous ? Oui. Nous : pour reprendre notre long voyage où la monotonie n'a pas sa place ; lui, ses champs, ses buffles et sa vie où l'imprévu n'existe pas, enfin presque, la preuve hier soir.

S'arracher un peu plus à la gravité.

La piste poussiéreuse nous ennuie vite, et puis il est vrai que ce n'est pas notre direction : le cap “Est Sud-est”, celui qui nous mène toujours plus vers l'orient. Ainsi, quand un petit chemin qui semble offrir une meilleure direction se présente devant nous, nous n'hésitons pas à nous y engager. Et pourtant, ici en Chine, nous le savons bien, les sentiers nous perdent toujours. Mais bon, espérons comme à chaque fois que celui-ci nous mènera plus ou moins à bon port.

Un petit chemin, cela permet certes de plonger au coeur de la montagne, mais cela veut aussi dire la gravir, et sans plus tarder, chacun de nos pas doit s'arracher un peu plus à la gravité pour monter, monter et encore monter. Il est encore tôt dans l'après-midi, l'air semble brûlant mais il n'est pas permis d'y penser car la route est encore longue, y songer maintenant conduirait à ne faire que ressasser en permanence cette chaleur assommante.

Le chemin n'est plus que le fantôme des traces de quelques ramasseurs de sève.

Un pied devant l'autre, on se parle un peu, observant le relief, plaisantant souvent et on regarde au loin, on constate que la pente est encore haute. Nous avançons transpirant sur ce sentier qui devient de plus en plus étroit. Le premier du groupe, à chaque intersection, essaye de suivre la voie qui lui semble la plus optimale, en demandant parfois l'avis des autres, ce qui est de temps en temps source de discorde, et on continue, on monte. On passe un énième ruisseau avec soif, mais une fois de plus, on pousse à plus loin le moment de poser, ou plutôt de laisser tomber les sacs. Maintenant, nous sommes clairement en train de perdre notre sentier. Il n'est plus que le fantôme des traces de quelques ramasseurs de sève.

Nous venons d'accomplir une bonne partie de l'ascension, alors tant pis, même sans chemin, nous décidons de poursuivre jusqu'à la crête. Notre environnement devient de plus en plus vertical, et sur ces aiguilles de pins qui tapissent le sol, chaque pas devient de moins en moins plaisant. Une chute de l'un d'entre nous ne serait actuellement vraiment pas la bienvenue. On se fait quelques frayeurs dans des passages difficiles, et on monte toujours, cette fois-ci à pas prudent, essayant tant bien que mal de nous frayer un passage à travers la végétation. Nous sommes perdus.

La perception du temps et des distances dans les endroits plus compliqués est différente, chaque kilomètre semble incomparablement plus long. On se parle moins, gardant notre énergie et nos pensées en nous.

Soudain, au loin, de l'autre coté de la vallée, une sorte de piste se dessine. Voila , il ne nous reste plus qu'à tenter de nous y engouffrer. Par le haut, sur la crête ? Par le bas, en traversant la rivière ?

Touchons du bois, et il est ici présent partout, nous parviendrons toujours à retrouver le petit sentier.

Récit extrait des carnets de voyage du tour du monde à pied.

Étape de la traversée du Yunnan, Chine.

http://www.toutenmarchant.com/

< Texte : Kohler william, Photos : Killian Blais

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