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Afghanistan (4)

Afghanistan


pdfNotes de voyages
(2003)

Nicolas Ducret a été le "Cavalier des Steppes" dans les montagnes d'Asie centrale.
Il fait ici escale en Afghanistan, non pour le tourisme mais pour se mesurer aux "tchopendoz" qui disputent les "bouzkachi".

Découverte d'un autre Afghanistan, où la férocité animale est mise en avant.

Que fais-tu ici ? L’Afghanistan n’est pas un pays pour le tourisme !

ducruet1— Je ne viens pas pour le tourisme. Je me rends à Kaboul pour disputer un bouzkachi ! ” Les hommes sourient. La réponse leur plaît. Il n’y a pas, dans les provinces du Nord, de jeu plus beau ni plus célèbre. Les cavaliers de bouzkachi sont respectés de tous et auréolés de prestige. Il n’existe peut-être pas non plus denjeu plus violent et plus brutal. Les tchopendoz foudroient les steppes au galop débridé de leur monture. Ils se combattent des heures durant pour une chèvre sans tête, qu’ils doivent arracher au sol puis déposer dans un cercle tracé à terre, le “ cercle de justice ”. Alors seulement, ils sont victorieux.

La chura a statué : l’étranger peut continuer. Ils avertiront néanmoins par radio les postes de police suivants. Nous prenons d’assaut l’adret, le dernier pan, qui monte vers le col, et quittons la piste pour couper par des lacets pierreux. La montée est raide, difficile. Les pierres roulent sous les sabots des chevaux. À la moitié de l’ascension, nous nous arrêtons afin de laisser à nos montures le temps de reprendre leur souffle. Le ciel est entièrement dégagé. Pas un nuage. Un bleu d’une pureté sans pareille. Le soleil fait miroiter les névés des sommets. Puis nous repartons pour l’ultime portion. Les chevaux soufflent, ventilent avec précipitation. Leurs battements de coeur ébranlent tout leur corps, font palpiter leurs flancs.

La montée est si pénible qu’ils s’arrêtent tous les quatre pas pour reprendre des forces. Après six heures de progression, nous franchissons le col Anjuman. Nous sommes à 4 436 mètres, et venons de gravir le dernier col de la chevauchée.

L’Hindu Kush est derrière nous. La vallée du Panjshir s’ouvre, étroite et encaissée, fuyant en un long cordon vers les plaines de Charikar et de Kaboul. Panjshir signifie “ cinq tigres ”, et on raconte que le lieu était autrefois protégé par cinq chefs contre l’extérieur : les cols de l’Orient étaient défendus contre les Jadidis, le col Anjuman, au nord, contre les Badakhshanis, le Khawak et le

Salang, à l’ouest, contre les Turkis d’Andarab, et l’extrémité sud, Jabul Seraj, contre les Hazaras. Appelée pendant longtemps la “ route du Turkestan”, la vallée était alors la principale voie d’accès au nord de l’Afghanistan et aux rives de l’Oxus.

Les antiques caravanes de chameaux de Bactriane, de chevaux et d’ânes, chargées de coton, de grain et de diverses marchandises, parcouraient ces pistes. Puis les camions arrivèrent, une route carrossable traversant l’Hindu Kush fut ouverte et les Soviétiques creusèrent le tunnel de Salang, offrant un passage praticable toute l’année entre Kaboul et les régions du Nord et donc l’URSS.

Au sommet, Ghulam tire une balle. Célèbre-t-il notre victoire ? Des hommes menant des yacks répliquent par leurs cris. Ghulam tire deux balles supplémentaires. Le vent souffle dans les cimes. Nous restons peu de temps au col, car notre chaperon n’est pas tranquille. Nous nous jetons à toute allure dans la vallée, parcourant plateaux caillouteux et prairies d’herbe rase sans ralentir l’allure. Des caravanes d’ânes, d’hommes et de chevaux montent vers le col. Nous entrons au soir dans le village de Parian, bâti sur les bords de la rivière Panjshir. Les chevaux sont fatigués.

Nous avons chevauché près de dix heures, abattant plus d’une cinquantaine de kilomètres.

Les porteurs de turban se défoncent. Sangui Mohamed me fait des signes : “N’accepte pas les joints ! ” Les corps se balancent au rythme de la musique, surexcités. Pris dans les vapeurs de haschich, les éclats de rire et la fougue, ils sont tous en transe et se mettent à chanter à la gloire du combat et de l’héroïsme. Une unique phrase résonne en boucle : “ Avec une balle, avec une arme, je suis prêt à la mort.”

ducruet2Rien n’a plus marqué le Panjshir que les combats qui l’ont conduit à la gloire et à la ruine. Les Panjshiris en sont fiers. Leur histoire est celle d’une vallée qui n’a jamais courbé l’échine face à l’ennemi. Lorsque tout l’Afghanistan était à terre, le Panjshir était encore debout. Ici, la résistance et le courage ont toujours vaincu. À leur tête, un homme, Ahmad Shah Massoud, qui devint le héros de la région. Ce combattant de l’insolence réussit à mettre en déroute une des armées les plus puissantes du monde.

Nuit dans les vapeurs de Marie-Jeanne. À l’aube, nous puons encore l’herbe. Des vieillards enturbannés se pressent près du camion. Ils veulent voir mes chevaux. Le souffle des pistes a informé les hommes : un cavalier venu des steppes du Nord fait route vers Kaboul pour disputer un bouzkachi. “Ça, un cheval de bouzkachi ! ” s’exclament-ils avec sarcasme devant Musicien des steppes. “Oui, car il est rapide et agile…

Leurs réactions me laissent songeur. À quoi ressemble donc un véritable cheval de bouzkachi ? Sur la piste, un tchopendoz attend, en selle sur un grand étalon blanc comme neige, puissant, aux reins courts et couverts d’une étoffe de velours rouge ornée de broderies d’or.

La parure du cheval est plus précieuse que les vêtements du cavalier. Le cheval piaffe d’impatience.

L’étalon porte l’encolure relevée, que sa longue crinière, épaisse et emmêlée, couvre partiellement. Face à un tel cheval, les miens font pâle figure. Ils sont bien plus petits, secs et calmes. Ils ont compris depuis longtemps que la nervosité ne menait à rien face aux distances à parcourir.

Bouzkachi, bouzkachi ”, murmurent néanmoins les enfants à notre passage. Est-ce les rumeurs du Nord, ou alors le seul fait qu’un homme à cheval en cette saison ne puisse être qu’un tchopendoz ? Comme j’ai trop lu Kessel et que je crois au rêve, j’imagine Ouroz, le fier et impitoyable joueur des Cavaliers monté sur

Jehol – le cheval fou –, son étalon bai cerise à la crinière flottante. Ouroz et son rictus de loup, qui pose sur les hommes à pied un regard fier chargé de mépris. Deux autres tchopendoz, montés sur des étalons blancs, puissants et hargneux, nous rejoignent ensuite. Leurs chevaux ont l’ossature épaisse, le poil fin et soyeux. Les cavaliers se tiennent droits, les étriers chaussés courts, les rênes tendues. Des foulards sont noués sur leur tête. Ils tiennent dans la main de fines cravaches.

Je les imagine galopant férocement, la cravache entre les dents, puis se courbant jusqu’au sol pour arracher la chèvre sans tête. Ils passent la matinée à arpenter la piste furieusement, nous doublant à maintes reprises. Ils entraînent leurs chevaux dans un rythme effréné, décousu, précisément celui qu’exige le bouzkachi.

Lorsqu’ils s’arrêtent, leurs étalons se cabrent, ruent d’impatience, piaffent. Ils traversent le bazar devant la caravane, botte à botte, se pavanant avec orgueil. Les gens s’écartent par respect, ou peut-être par peur de la nervosité de leurs montures.

ducruet3Au marché, les hommes devisent, boivent du thé, prient sur les tapis râpés des échoppes ou sur le sol poussiéreux de la piste. Des cailles aiguisent leur bec contre l’osier des cages rondes. Un combat se prépare-t-il ? Ici cailles, chiens, béliers, coqs s’affrontent depuis les temps ancestraux. Et les hommes parient. On fait également s’opposer des chameaux de Bactriane à la toison frisée, mais uniquement au moment du rut, seule période où une singulière férocité les anime.

Un homme du bazar veut échanger son pakol contre le mien. Pratique courante semble-t-il.

Je l’ai déjà échangé une fois au village d’Anjuman…

Texte et photos Nicolas Ducret

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