Carnet de route
Un pied au Samanala Kanda
C’est l’histoire d’une rencontre avec un îlot au milieu d’une île. C’est l’histoire d’une rencontre avec l’île de Sri Lanka et d’un îlot de calme et de nature magnifié par le Sri Pada.
Après un trajet ferroviaire, debout dans l’allée du wagon à tenter d’observer la nature et en partageant quelques moments d’intimité avec les autres passagers, nous arrivons à la gare de Hatton. Nous y prenons un bajaj pour parcourir les 33 kilomètres nous séparant du village de Dalhousie. La route épouse la forme des collines plantées de thé, de forêts d’eucalyptus et de pins Riwa. Des femmes en sari, un sac en jute blanc dans le dos, la peau burinée par le soleil, ramassent les précieuses feuilles de thé. Nous dépassons le réservoir d’eau de Castlereagh ainsi qu’une petite église anglicane du XIXe siècle.
Dalhousie est un bout du monde comme je les affectionne. Je me plais à penser que c’est inscrit dans mes gènes : trouver des endroits retirés et empreints de sérénité, avoir envie que le temps s’arrête, que l’instant magique de la rencontre avec un lieu particulier perdure plus que de raison !
C’est l’histoire d’une rencontre avec un îlot au milieu d’une île. C’est l’histoire d’une rencontre avec l’île de Sri Lanka et d’un îlot de calme et de nature magnifié par le Sri Pada.
Après un trajet ferroviaire, debout dans l’allée du wagon à tenter d’observer la nature et en partageant quelques moments d’intimité avec les autres passagers, nous arrivons à la gare de Hatton. Nous y prenons un bajaj pour parcourir les 33 kilomètres nous séparant du village de Dalhousie. La route épouse la forme des collines plantées de thé, de forêts d’eucalyptus et de pins Riwa. Des femmes en sari, un sac en jute blanc dans le dos, la peau burinée par le soleil, ramassent les précieuses feuilles de thé. Nous dépassons le réservoir d’eau de Castlereagh ainsi qu’une petite église anglicane du XIXe siècle.
Dalhousie est un bout du monde comme je les affectionne. Je me plais à penser que c’est inscrit dans mes gènes : trouver des endroits retirés et empreints de sérénité, avoir envie que le temps s’arrête, que l’instant magique de la rencontre avec un lieu particulier perdure plus que de raison !
La guesthouse White House tenue par Nimal participe aussi à ce moment privilégié. La maison est en contrebas de la route, lovée dans un îlot de verdure. Il y a une petite terrasse devant notre chambre, une table, deux chaises pour profiter de la soirée. Une rivière s’écoule paisiblement pour que le bruit de l’eau accompagne le chant des oiseaux. Un Souimanga de Loten au plumage irisé de bleu s’est posé sur un arbre décoré de petites graines rouges, friandises à oiseaux. Notre but premier est de gravir le Sri Pada ou Adam’s Peak en ce temps de Poya.
L’attrait du Sri Pada réside dans la faille située dans un rocher au sommet de la montagne. Cette faille longue de 1,60 m et large de 75 cm a la particularité de fédérer toutes les religions du pays.
Un bel exemple de syncrétisme et de tolérance religieuse. Les bouddhistes y voient l’empreinte de pied de Bouddha, les hindouistes une trace de pas du dieu Shiva, les chrétiens le pied de Saint Thomas. Pour les musulmans, c’est ici qu’Adam a posé le pied lorsqu’il fut chassé du paradis, l’autre pied posé sur la Kaaba à la Mecque. Du Sri Pada, les anciens Cinghalais pouvaient entendre le son des fontaines du paradis. Pour les âmes poétiques, le Samanala Kanda est le pic où les papillons viennent mourir au printemps. En attendant ce moment de communion, nous nous mettons en jambe le long des ruelles désertes du village. La population s’active, les hommes clouent des planches ou des tôles, donnent quelques coups de peinture, remplissent les premiers étalages.
Tout doit être prêt pour le Poya Day le 20 décembre, jour qui marquera le début du pèlerinage au Sri Pada pour tous les habitants de l’île. Nous occupons l’après-midi en partant dans les plantations de thé, à 1 300 m d’altitude au gré des chemins de traverse. Nous y croisons des brigades de femmes, taches blanches un instant, colorées l’instant d’après, dans une verte uniformité.
Elles se penchent, arrachent par grappes les plus belles feuilles de thé, ponctuent de blanc l’espace vert. Elles se retournent en nous saluant le sourire aux lèvres, révélant ainsi leurs saris multicolores. Les plantations de thé remplissent les flancs environnants. Si elles participent en France à notre bonheur lors de goûters d’hiver improvisés, ici les feuilles brillantes se hissent au sommet de petits arbustes donnant des vagues de vert aux ondulations des collines. Cette forêt miniature aux troncs tortueux
fait la beauté du paysage. Des chemins montent à l’assaut des pentes, des femmes les empruntent un bâton noueux à la main.
Tel un Robinson sur son île…
Notre départ à 5 h du matin permettra de ne pas trop souffrir de la chaleur de la journée. Notre but est de gravir les 1 100 m de dénivelé et les 5 200 marches pour atteindre le sommet du Sri Pada à 2 243 m d’altitude. Ponctuée par les ambalana — petits arrêts pour corps fatigués — la montée joue entre forêts luxuriantes, cascades lointaines, villages perdus et plantations de thé.
Dans une obscurité totale, avec pour seul éclairage la lumière de notre frontale dirigée vers le sol, nous traversons le village, dépassons le temple birman, franchissons le pont avant de bifurquer à droite pour trouver le début du chemin. Le noir alentour rend les premières heures mystérieuses. Ne pas trébucher ni perdre son chemin. Le faisceau lumineux part de temps en temps à la conquête des branches à la recherche d’une présence. Les premières lueurs du jour dévoilent le paysage à nos regards. Plus haut dans la montagne à la base du rocher, des escaliers font subitement franchir le dénivelé manquant. La hauteur des marches rend le souffle court. Arrivés à la cime nous nous retrouvons entourés de vert et de montagnes se dessinant dans un halo brumeux.
Nous agitons la cloche chacun à notre tour comme le veut la tradition. Les fontaines du paradis ne résonnent pas à nos oreilles mais la jouissance d’avoir atteint ce lieu magique est bien présente. Faisant le tour de l’esplanade, nos regards furtifs essayent de deviner les rochers, arbres ou villages dans l’immensité du paysage. Nous mesurons la quiétude et la beauté du lieu à l’aune des efforts accomplis.
Après avoir avalé un thé, nous affligeons à nos genoux la raideur de la descente le long de marches inégales et abruptes. Nous croisons des porteurs pliant sous les charges alimentant les échoppes de denrées avant le premier jour du pèlerinage.
Malgré nos pas de plus en plus lents pour rester dans la magie de la journée, nous atteignons finalement notre guesthouse. La rivière nous est salutaire, reposant nos pieds dans l’eau, à l’écoute de son clapotis. Il est maintenant
17 h, nous terminons tranquillement notre journée ; la pluie en profite pour tomber.
Couchés tôt, nous nous levons tôt pour une dernière
vision sur le Samanala Kanda sans son auréole de nuages. Mon regard s’éternise pour mieux l’immortaliser dans mes souvenirs. Les premiers oiseaux piaillent, les villageois vaquent à leurs occupations. Ces quelques jours furent une pause, un doux moment intime, tel un Robinson sur son île…. une île qu’il n’a pas vraiment envie de quitter.
Textes Claude Chalabreysse (84)
Photos Norbert Gabry (75)