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Ekkerøy , presqu'île du temps suspendu

Ekkerøy est une presqu’île au bord de la mer de Barents.
Certains disent qu’il n’y a rien à y voir.
D’autres, à l’écoute du temps qui passe et de son renouveau, en font au contraire le but ultime de leur voyage.


Carte_laponieDouze juillet. Six heures du soir. Je suis parti depuis près de deux semaines et il me semble pourtant que cela fait un mois, ou un siècle, que j’avance au milieu de ces collines, le long de ces rivières, à travers ces marécages balayés d’ondées soudaines et de hordes de moustiques. Steppes immenses où court le regard jusqu’à l’horizon sans que rien ne l’arrête. Forêts humides d’arbres décharnés où errent quelques rennes solitaires. La Laponie m’a absorbé, avec ses immensités imperturbables, ses villages immobiles et son ciel impassible. À Nuorgam à la frontière Norvège- Finlande, ma marche s’est arrêtée.

C’est en bus que j’ai continué ma route. J’ai laissé la Finlande derrière moi et jeté mes dernières énergies vers la Norvège, terre viking de tant de rois à l’âme vaillante. À Vadsø, j’ai refait le plein de nourriture pour repartir vers Vardø, but ultime et ultime espérance de ce voyage. Le long de la route défilent les cabanes de pêcheurs, souvent délabrées, bâties puis rebâties génération après génération par les peuples laborieux et patients du cercle arctique. À ma droite, la mer de Barents et au-delà, encore au-delà, les côtes élevées du Sør-Varanger, qui arrêtent cette fois le regard.
J’avance.
Un microcosme immobile.
Délaissant le mythique Cap Nord et ses parkings peuplés de caravanes, j’avais opté pour Vardø, île côtière située plus à l’Est, qui jadis respirait au rythme du commerce avec la grande Russie voisine. Île où devait, par la suite, venir échouer une partie de l’émigration russe fuyant la révolution bolchevique.

Laponie1C’était le siège de la forteresse la plus septentrionale d’Europe que j’étais venu chercher — symbole à la fois merveilleux et lointain de cet esprit européen qui, jadis, poussait femmes et hommes aux extrémités les plus improbables de la terre. À côté de son fort du XVIIIe siècle, une ville déserte et décrépie de maisons sobrement alignées, surplombée par les radars de l’armée américaine — oeil de Washington insolemment planté à quelques dizaines kilomètres de l’empire rival depuis la fin des années quatrevingt- dix. Vardø, et son unique cinéma, son unique restaurant, son unique hôtel aussi.

Quelques rares passants affables et quelques voyageurs, venus de Suisse ou d’Allemagne.
Trois jours passés à contempler ce microcosme immobile. J’étais reparti par le ferry sur les quatre heures du matin, par un soleil de minuit aveuglant miroitant sur une mer d’huile. À ce moment, et sans vraiment savoir pourquoi, me sont revenues à l’esprit quelques bribes de la complainte du vieux marin de Coleridge — poème magnifique contant la malédiction d’un équipage, décimés par la soif et dérivant au milieu des flots. Ce voyage semblait terminé, mais un goût d’inachevé me faisait pressentir une étape manquante. De retour à Vadsø, explorant du regard les cartes de la région, je m’étais arrêté sur une minuscule presqu’île répondant du nom d’Ekkerøy, située à une quinzaine de kilomètres plus au nord, le long de cette même route que j’avais prise jusqu’à Vardø.

Nouveau départ dans cette même direction, à pied cette fois. Traversée de hameaux vides mais bien entretenus. Ekkerøy m’est peu à peu apparue, d’abord modeste point sur l’horizon disparaissant et réapparaissant au gré des lacets et dénivelés d’une route sans fin. Jusqu’à devenir cette presqu’île où j’échouais, un 12 juillet.

Il n’y a rien à voir à Ekkerøy”, m’avait prévenu un Norvégien de Vadsø, visiblement sceptique.
Il est six heures du soir, et une pluie fine accompagnée d’un léger vent glacé accueille mes premiers pas sur ce petit bout de terre qui scelle mon voyage. L’unique route d’Ekkerøy serpente entre les maisons pour venir mourir près d’un modeste port aux bâtisses rouges, jadis dédiées aux activités de pêche. Silence d’un village où rien ne semble vivre. Je m’installe face à la mer.

Laponie2Trente habitants, essentiellement des retraités en fin de vie. Ils étaient près de trois cents au début du siècle dernier, travaillant la terre, labourant la mer de leurs filets, activités aujourd’hui disparues, mode de vie à présent éteint d’une Europe pourtant millénaire. Aucune tristesse en ces lieux, mais la nostalgie silencieuse d’un temps qui s’est effacé et que semble entretenir un musée où défilent, sur grand écran, photos d’antan et commentaires émus de visiteurs sur une musique lente et lointaine.

Dans les baraques, quelques vestiges des activités ancestrales qui s’arrêtèrent au début des années soixante : barques et ossements de baleines, cordages et outils marqués par l’usage et le temps. Dix visiteurs par jour tout au plus, traversant le village dans un silence quasi religieux. On se salue, échangeant quelques mots à peine. Mes pas me mènent vers les abris allemands à flanc de la colline qui surplombe le port. Au-delà du sommet, à l’extrémité nord de la presqu’île, un phare de bois veille comme figé dans le temps et semble scruter l’horizon.

En 1953, un ours polaire avait été découvert, errant sur cette partie sauvage de l’île, probablement arrivé en ces lieux par la grâce d’un bloc de glace arctique parti à la dérive — hommage singulier du monde animal au poème de Coleridge. Le jour décroît et je m’en retourne au port avec ses nuées d’oiseaux, gardiens d’un lieu figé dans l’éternité.

Car l’éternité est en ces lieux, où sommeille un passé toujours fécond pour qui sait l’écouter.

Les voix des ancêtres y murmurent encore, chuchotant le temps du renouveau qui nous appelle. Le temps, à Ekkerøy, ne s’est pas arrêté : il s’est seulement suspendu dans l’attente des belles moissons du lendemain. Je vais au bout de la jetée : face à moi, la mer de Barents et au-delà, encore au-delà, la majesté de l’Arctique où, comme ici en cette saison, jamais le soleil ne se couche.

Texte et photos Guillaume Durand
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