Connu pour son expérience * et pour "Techniques du voyage à cheval" **, petite bible en la matière, Emile Brager répond aux questions pratiques essentielles qui se posent à tout candidat au voyage à cheval ***.
(Extrait de la revue Globe-Trotters 106)
Comment choisir son cheval pour une randonnée au long-cours ?
Le meilleur choix d'un cheval de voyage est certainement un jeune adulte hongre.
Jeune adulte, c'est entre 5 et 10 ans. En deçà, on a affaire à un adolescent manquant de maturité physique et psychologique. Au-delà, les problèmes de santé, notamment des membres, sont à redouter.
Un hongre est un mâle castré. Ainsi, on évite les réactions fantaisistes de la jument en chaleur (quelques jours par mois, 6 mois par an), et le comportement dominant, parfois brutal du mâle entier (toute l'année dès qu'il est en présence d'autres chevaux). De plus, certains pays ne laissent pas rentrer sur leur territoire des animaux capables de se reproduire. Enfin, le hongre est mieux accepté par les agriculteurs et cavaliers locaux, ce qui favorise l'intégration.
Il convient aussi de penser aux mules dont les qualités de rusticité et d'endurance ne sont plus à démontrer.
On pensera aussi à quelques autres critères :
Une petite taille (1,35 à 1,50 m), plus facile à nourrir, à harnacher, à monter.
Une certaine générosité au travail.
Un équilibre nerveux face à toute situation imprévue. Le cheval est un animal de proie qui a la peur ancrée en lui. Cette peur peut s'exprimer par des réactions exagérées, brutales pouvant mettre en danger le cavalier ou le meneur à pied.
Où peut-on l'acheter ?
On trouve des chevaux chez les marchands, les éleveurs, les utilisateurs (sports équestres, travail du bétail, randonneurs). Il est difficile d'acheter de bons chevaux à l'étranger (les bons ne sont pas à vendre), et le débutant à toutes les chances de se voir refiler cher un cheval caractériel ou de santé fragile. Le commerce des chevaux jouit d'une réputation de roublardise parfaitement justifiée. On aura intérêt à se faire conseiller par un ami "homme de cheval" et, si possible, à faire procéder à une visite vétérinaire d'achat.
Quant aux prix, ils sont variables : un bon cheval de voyage vaut 3 000 Euros en France et 300 Euros en Argentine.
Est-il indispensable de prendre un cheval de bât ?
Il existe différentes formules de voyage à cheval.
. Meneur à pied avec cheval de bât :
C'est la formule la plus facile pour un débutant. L'autonomie alimentaire est d'environ une semaine, à condition de trouver de l'herbe tous les jours plusieurs fois par jour.
. Cavalier avec deux chevaux dont l'un porte les bagages :
Débutants s'abstenir. La conduite de deux chevaux demande un certain doigté et de l'expérience. Cette formule permet de voyager dans un certain confort loin de la civilisation.
. Cavalier avec deux chevaux dont l'un est nu :
Il ne porte rien et fatigue très peu. Il viendra remplacer le cheval monté à la mi-journée ou un jour sur deux. Là aussi, débutant s'abstenir. L'autonomie alimentaire est nulle mais on peut faire de grosses étapes dans une région facile.
. Cavalier avec un seul cheval :
La formule n'offre qu'un seul jour d'autonomie alimentaire. Elle n'est valable que dans les pays occidentaux herbeux ou dans les pays hospitaliers.
. En attelage tiré par un ou deux chevaux ou mules :
C'est la formule de confort convenant bien au voyage en famille et en plaine. Là aussi, amateurs s'abstenir car l'attelage est une activité bien plus dangereuse que la monte simple. Il convient donc de se former sérieusement avant de partir.
Faut-il partir avec sa selle ou doit-on préférer les selles locales ?
Qui penserait être satisfait des chaussures locales et des sacs à dos locaux pour un tour à pied de la chaîne de l'Himalaya ? En ce qui concerne les selles et tout le harnachement, c'est pareil. Les matériels locaux sont souvent peu fonctionnels, fragiles, inadaptés. Il vaut mieux choisir tout son matériel en France avant de partir et être capable de l'adapter aux chevaux locaux.
Quelle distance moyenne peut-on prévoir de parcourir par jour ?
Le kilométrage quotidien varie en fonction du potentiel sportif du cheval, de l'alimentation, du poids de charge, du terrain, de la dénivellation, de la température. Cela va de 20 à 80 km. Sauf dans le cas d'un raid sportif bien préparé avec des chevaux d'élite, on peut compter sur une base de 6 à 8 heures de marche exclusivement au pas. Le trot et le galop sont réservés à la récréation que l'on s'offre pendant les jours de repos.
De plus, le cavalier doit marcher à pied au moins 5 à 10 minutes toutes les heures et dans toutes les descentes (le cheval est un animal de plaine qui a sa masse musculaire à l'arrière et qui est mal à l'aise dans les descentes). Enfin, une pause d'une heure ou de deux fois 30 minutes est indispensable - chevaux de bât déchargés - à la mi-journée.
Doit-on être initié à la maréchalerie avant son départ et quels fers prévoir ?
Tous les voyageurs à cheval ayant fait appel aux maréchaux locaux ont eu des déboires. Il est indispensable de se former avant de partir. On emporte avec soi les petits matériels et les clous. On trouve l'enclume, la forge, le gros marteau chez le maréchal local, les garagistes, les "ponts et chaussées", les militaires. On achète les fers industriels ou on forge soi-même ses fers au fur et à mesure.
Un complément alimentaire doit-il être toujours apporté à sa monture ou l'animal peut-il se suffire de l'herbe mangée sur le bord de la route ?
Le cheval est un herbivore qui se nourrit quelque 18 heures par jour s'il est libre. Nourrir des chevaux en voyage relève parfois de l'exploit. C'est une obsession permanente. L'herbe du bord des chemins n'est suffisante que dans le cas d'un faible kilométrage avec des chevaux rustiques. Au delà de 25 km/jour, il faut donner du grain (1 kg à 2,5 kg/jour et par cheval), en plus du foin, de l'herbe ou de la paille qui, eux, doivent être distribués à volonté tout le temps pendant lequel les chevaux ne travaillent pas. Cet aspect de la nature des chevaux interdit les régions non agricoles. Enfin, un cheval doit boire 2 fois par jour en hiver et 4 fois en été.
Y a-t-il des pays qu'il faut d'office "oublier" ?
On évitera soigneusement les régions extrêmes. Le cheval trouve sa place dans les régions tempérées, les steppes herbeuses, les steppes semi-désertiques, les régions agricoles où l'on peut élever des bovins. Là où l'on ne trouve plus que des rennes ou des chameaux, le cheval ne vit pas.Le bord des routes goudronnées est déprimant, préjudiciable pour les pieds des chevaux et dangereux à cause de la circulation. Les cavaliers fuient les mégapoles et autres zones trop civilisées.Certaines frontières restent fermées aux chevaux. Ils convient de se renseigner avant de partir. Alors qu'il est facile de se déplacer en vélo ou en voiture, le passage des frontières est l'une des pierres d'achoppement du voyage à cheval. Une frontière fermée et le voyage est compromis.
On évitera aussi les régions où l'insécurité est reconnue (troubles politiques et délinquance civile). Le voyageur à cheval se déplace lentement, au su de tout le monde. Il est très vulnérable. Son matériel et ses chevaux peuvent faire des envieux…
Quelles sont les formalités administratives à suivre pour le passage des frontières ?
Les formalités douanières pour les chevaux sont un casse-tête et parfois un cauchemar. Il n'existe pas de législation internationale de protection sanitaire. Chaque pays a ses propres règles et chaque douanier fait sa loi. C'est ainsi ! Le problème se traite donc au coup par coup avec moult paperasses et autres tampons mais aussi avec du détachement, de la dignité, de la bonne humeur, de la patience, de l'intuition, de la diplomatie... toutes recettes à utiliser tour à tour malgré la fatigue, la chaleur, les badauds, les rats des frontières...
Comment se sépare-t-on d'un cheval à la fin d'une randonnée au long cours ?
Quel sort réserver aux chevaux à la fin d'un voyage ? Question cruciale. Le voyageur rentre chez lui, content. Les chevaux ? Ils ont assumé toutes les contraintes du voyage, les kilomètres, les intempéries, la mauvaise alimentation. Le plus souvent, ils ne peuvent plus être considérés comme un moyen de transport, ni comme des animaux domestiques, ni des animaux familiers, ni des animaux familiaux. Ils sont devenus une partie de la personnalité du voyageur, de ses pensées, de ses actes, de ses besoins, de son identité. Le voyageur retourne à sa vie citadine ou sédentaire. Il lui faut décider du devenir de ses chevaux et ce choix doit être longuement mûri. Cela l'aidera dans son processus de deuil, dans l'acceptation de la fin du voyage et de la séparation. La meilleure solution est certainement la mise à la retraite dans de vastes pâtures, avec un troupeau de juments poulinières et sous surveillance. La solution de la vente permet de récupérer quelques sous mais elle est définitive : l'acquéreur fera ce que bon lui semble : travail, abattoir, négligence. Voilà pourquoi la fin d'un voyage se décide aussi en fonction du devenir des chevaux. Personne ne doit décider à la place du cavalier.
Pour conclure, je me permets d'insister sur la responsabilité que le voyageur prend vis à vis de ses chevaux. Quand un cheval est en mauvaise santé, mal conduit, mal harnaché, surmené, ce n'est jamais sa faute. C'est toujours la faute de son meneur qui n'a pas su le conduire comme il le fallait. Avec des chevaux, il est très facile d'être un tortionnaire malgré soi, par incompétence.
Alors qu'il est à la portée de tout un chacun d'enfourcher un vélo et de pédaler vers l'horizon, il est insensé de se lancer dans un voyage à cheval sans être "homme de cheval". Etre cavalier ne suffit pas. Le voyageur se doit aussi d'être vétérinaire, maréchal, soigneur, bourrelier, ethologue... Tout cela s'apprend. Cela demande du temps et de l'énergie mais le jeu en vaut vraiment la chandelle. Le voyage n'en sera que plus satisfaisant et les chevaux n'en seront que plus heureux.
*Citons notamment une randonnée de 14 mois en France, en Espagne et au Portugal, ou encore une aventure qui, sur 4 années l'a mené, avec sa compagne Marie Roeslé, de la Patagonie jusqu'à l'Alaska... et un raid de 10 000 km en 10 mois aux USA.
**"Techniques du voyage à cheval" aux Ed. Nathan, 592 p, 27 Euros (on peut également le commander chez l'auteur)
*** Voir aussi l'association Cavaliers au long cours. L'association est ouverte à tous : sympathisants, rêveurs, porteurs de projet, en selle sur les chemins du monde ou cavaliers de retour de longs voyages.
jeudi, 10 septembre 2009 15:53
A cheval
Publié dans
La route par d'autres moyens