À la rencontre des nomades Kirghizes
Quelques kilomètres après la frontière ouzbèke, dans la vallée de Ferghana, s’étend Och, deuxième ville du Kirghizstan avec ses 300 000 habitants. À une heure de voiture au Sud, les vallées des monts Alaï offrent de somptueux paysages verts et sauvages, entourés de pics rocheux de haute montagne et ponctués par les yourtes des nomades et leurs chevaux en liberté.
En route pour le camp de yourtes Tepchi
Mercredi 13 juillet, Och.
8 heures du matin. J’enfile mon sac à dos et rejoins à pied le bureau du CBT (Community Based Tourism) de Och Alaï, où je fais la connaissance de Zabeen, qui m’accompagnera pendant trois jours pour un trek à cheval dans les montagnes d’Alaï. Zabeen, une Zambienne d’une trentaine d’années, est une jeune femme déterminée et indépendante avec laquelle je ne tarderai pas à tisser un lien fort. Après quelques formalités, Zabeen, notre guide Symbatek et le chauffeur prenons la route direction les vallées des monts Alaï. Une heure plus tard, au détour d’un virage, un berger nous attend avec trois canassons à la robe baie.
Le soleil, haut dans le ciel, darde ses rayons sur la vallée. L’air est pur, le tumulte de la civilisation déjà loin. Après quatre heures de chevauchée sur une piste rocailleuse, nous atteignons le camp Tepchi et ses pâturages verdoyants de moyenne montagne.
Aux traits marqués de notre hôte, une femme d’une trentaine d’années mais qui en paraît bien davantage, on devine la rudesse de la vie nomade. À vrai dire, ceux que nous appelons nomades ne le sont qu’à moitié : ils vivent dans les pâturages de juin à septembre pour faire paître leurs bêtes et habitent dans un village alentour le reste de l’année. Encaissé entre deux versants de la montagne, le camp abrite plusieurs familles. Si le paysage verdoyant et montagneux rappelle la Suisse, il s’agit bien de la Kirghizie. Entre les yourtes blanches, les animaux évoluent paisiblement en toute liberté. Des hordes de chevaux galopent d’un bout à l’autre du plateau, tandis que des vaches se laissent traire gentiment, mais seulement par leur propriétaire ! Quant aux moutons à la laine brune, dont les fesses dodues sont caractéristiques de la région, ils sont rassemblés dans un enclos à la tombée de la nuit. Poules, poussins, dindes et dindonneaux font aussi partie du tableau.
La yourte est sombre mais chaleureuse, égayée par d’épais tapis colorés sur lesquels nous dormirons. Un poêle au charbon dont la cheminée traverse le toit sera précieux cette nuit, lorsque les températures chuteront. Pour aller aux toilettes, rien de plus « nature » : un trou, fermé aux yeux du public par des planches en bois, mais seulement de trois côtés ! Comme il n’y a pas de douche, un nettoyage du visage au savon et à l’eau fait l’affaire. Nous communiquons peu avec la famille. Même si Symbatek est notre interprète, notre hôte s’occupe seule de ses animaux, de ses enfants et des invités. Le soir venu, après un repas chaud bien réconfortant – une soupe, accompagnée de crème et de borsok, une sorte de donut –, nous nous glissons entre les tapis et les couvertures, Zabeen et moi dans la yourte, et Symbatek, pudeur oblige, sous la tente.
La vallée de Sary Oï par le col Airy Bel
Après un petit déjeuner composé de pain, de crème au lait de vache et d’un grand bol de porridge, nous enfourchons nos montures, direction la vallée de Sary Oï et un autre camp de yourtes.
Pour cela, il faut passer de l’autre côté de la montagne et franchir le col Airy Bel.
En milieu d’après-midi, après avoir emprunté une piste rocailleuse jalonnée de déchets, nous arrivons au second camp. La famille – une mère, ses cinq filles et un cousin – s’empresse de nous servir le thé sous la yourte.
C’est l’heure de traire les vaches et les juments. Le lait de vache est séparé entre une partie liquide et une partie crémeuse à l’aide d’une machine actionnée à la main. La partie crémeuse est dégustée telle quelle, tandis que la fraction liquide sert à la confection du kurut, une boulette de fromage fermenté et durci, au goût aigre, qui a séché au soleil. Le lait de jument, réputé pour rendre fort, fermente dans un sac en cuir avant d’être bu. Symbatek nous explique que les nomades n’abattent jamais leurs propres animaux. Lorsqu’ils sont au village, ils les vendent et achètent de la viande au marché (ainsi que des légumes, de l’huile, de la farine), puis la sèchent et la conservent avec du sel. Mais les traditions culinaires nomades ne s’arrêtent pas aux produits laitiers ou à la viande. Le kattama, pain frit qui fait penser à un millefeuille très gras, et le borsok, donut goûté au camp Tepchi, composent la palette sucrée des nomades kirghizes.
Le camp est beaucoup plus moderne que le camp Tepchi. Les nomades ne dorment pas sous la yourte, réservée aux visiteurs, mais dans une maison juste à côté. Derrière celle-ci, il y a une douche, des toilettes turcs et même un urinoir pour les messieurs ! Un robinet extérieur permet de boire directement l’eau de la montagne.
Le soir venu, nous nous régalons d’un plov, plat traditionnel d’Asie centrale avec des variantes selon les peuples et les régions, mais toujours avec les mêmes ingrédients : riz, boeuf, oignon, carottes, ail et gras de mouton. La famille improvise une petite fête. Les deux filles les plus âgées chantent et jouent du komuz, instrument à trois cordes qui rappelle une petite guitare. Puis, sous la voûte étoilée, nous dansons tous ensemble au rythme des chansons kirghizes diffusées par une grande enceinte reliée à un générateur électrique. Il suffit d’une belle soirée estivale, d’un morceau de musique et d’un grain de folie pour abattre les derniers remparts de la langue, de la culture et de la religion.
< Clara Legallais-Moha, Newbury (Angleterre) Instagram : @clara_legallais